Nous avons demandé à la députée au Parlement Européen Marie-Thérèse Hermange de nous présenter le rôle actuel et futur de l’Union Européenne en faveur des personnes handicapées. La députée est l’auteur d’un rapport (lire focus du 23 mars), adopté le 3 avril 2001 par le Parlement Européen, qui établit un cadre de travail et d’initiatives pour les prochaines années et qui trouvera son point d’orgue en 2003.

Question : Vous avez mis en évidence, dans votre rapport, que le concept de libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union Européenne se heurtait à la barrière du handicap, ce qui fait des citoyens handicapés des citoyens quelque peu à part dans l’Europe unie…

Marie-Thérèse Hermange : Oui, des citoyens un peu invisibles comme un certain nombre de personnes qui sont « exclues ». C’est la raison pour laquelle il existe une forte mobilisation au sein du Parlement Européen pour construire une Europe des hommes. Depuis une vingtaine d’années nous avons construit une Europe de marchandises et de la monnaie. Il est important que la libre circulation des hommes puisse ne pas être entravée par des mécanismes discriminants lorsqu’un certain nombre de personnes sont exclues d’une politique. C’est ainsi, par exemple, qu’un citoyen de l’Union voulant travailler sur un autre territoire au sein de l’Europe risque de perdre les allocations dont il pouvait bénéficier. C’est un principe de discrimination. On peut aussi entendre la libre circulation au sens le plus simple du terme : j’ai ainsi demandé qu’il y ait une directive contraignante sur l’accessibilité d’un certain nombre d’espaces, bâtiments, lieux de transports, qui puisse bénéficier aux personnes handicapées.

Q : Pour autant, la politique européenne se heurte à des limites de compétences en matière sociale, de santé ou d’emploi…

MTH : Oui, par principe de subsidiarité, puisque ces politiques relèvent des États membres. Il n’en reste pas moins qu’il existe dans la Charte des droits fondamentaux un article 21 sur la non- discrimination et un article 26 sur l’intégration, et dans le Traité d’Amsterdam un article 13 sur le principe de non- discrimination et un article 137 sur les conditions de travail et d’intégration – excusez- moi d’être un peu technique – sur lesquels nous pouvons nous baser pour faire avancer un certain nombre de politiques. Vous savez, l’Europe avance à petits pas; c’est ainsi, finalement, qu’elle se construit en faisant oeuvre de compromis, de consensus et c’est vrai que dans le secteur social il nous faut profiter d’un certain nombre de brèches ou d’articles sur lesquels nous pouvons fonder une action à partir d’un principe juridique pour faire avancer telle ou telle cause. C’est en tous cas autour de ces articles que je me suis appuyée pour élaborer mon rapport.

Q : Une politique européenne en faveur des personnes handicapées ne se heurte- t-elle pas à l’absence d’information – statistique notamment – permettant de mieux connaître cette population, et aux différentes pratiques des pays de l’Union en la matière ?

MTH : Il est vrai que tous les pays n’ont pas la même tradition d’évaluation des politiques mises en place et des outils statistiques pour connaître le nombre de personnes concernées par telle ou telle problématique du handicap. C’est ainsi, par exemple, que les pays anglo- saxons sont beaucoup plus avancés en la matière que les pays latins et qu’il importerait de pouvoir disposer, soit au sein d’Eurostat [organisme européen d’études statistiques NDLR] soit au sein de l’Agence Européenne de la Santé, d’un observatoire européen du handicap. C’est une proposition qui pourrait être faite en 2003 dans le cadre de l’année européenne des personnes handicapées. Mais ce n’est pas parce qu’on disposera d’un outil statistique que l’on prendra en compte les mêmes données : d’un pays à l’autre, à partir de quand par exemple est- on considéré comme aveugle ? Il est évident qu’il y a des différences d’approche sociale, sanitaire et culturelle qui ne permettent pas, malgré les outils statistiques, que les comparaisons puissent être faites. Ceci étant, je suis tout à fait consciente qu’en France nous n’avons pas d’évaluation précise, à tel point que dans un rapport à remettre au Président de la République et au Premier Ministre dans le cadre du sommet mondial de l’ONU j’insisterai sur cette problématique de l’évaluation.

Q : Comment voyez-vous cette année européenne des personnes handicapées ?

MTH : Je vois 2003 comme un point de départ d’une grande mobilisation autour du handicap. C’est la raison pour laquelle j’ai insisté pour avoir à ce rapport qui pourra être une bonne base de départ pour travailler sur ces questions mais aussi comme une volonté de mobilisation de l’ensemble des acteurs au niveau d’une part des pays de l’Union mais aussi des pays candidats sur différentes problématiques. C’est dans cet esprit que j’engage un cycle de réflexion et de rencontres dont la première se tiendra le 26 novembre 2001 à Paris au Sénat sur la comparaison des enseignements spéciaux apportés aux personnes handicapées, en liaison avec la Société Européenne de Pédiatrie, l’Académie Européenne de Médecine et un certain nombre d’acteurs français.


Propos recueillis en avril 2001 par Laurent Lejard.

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