Le Gouvernement veut relancer les trains de nuit au nom de la neutralité carbone et de la lutte contre les gaz à effet de serre générés par les avions. Volonté politique louable que d’encourager nos compatriotes à voyager plus « propre » pour la planète, hélas contrariée par la pratique de la SNCF : pour ses trains de nuit, elle recycle des vieux trains Corail rénovés mais sans adaptation pour les éventuels clients handicapés moteurs. Et pour éviter d’en avoir à bord, elle refuse de vendre des billets à ceux qui se déplacent en fauteuil roulant ; l’achat est impossible sur son commercialisateur web, SNCF Connect, et via Accès Plus, service de vente de billets et d’assistance aux clients handicapés qui vit ses dernières semaines – il ferme définitivement le 10 janvier 2024.

Sauf que le Paris-Berlin est exploité avec du matériel roulant fourni par la compagnie autrichienne ÖBB dont une voiture dispose d’un compartiment pour une personne en fauteuil roulant avec deux couchettes (une pour la personne en fauteuil roulant et une autre au-dessus pour l’accompagnateur), de toilettes accessibles, d’un bouton d’appel de service, d’un espace pour chien d’assistance. Ce matériel ancien a été rénové avec mise en accessibilité, et il circule sur la liaison de nuit Paris-Vienne lancée en décembre 2021. Par conséquent, rien n’empêche la SNCF de vendre des billets à des clients handicapés moteurs qui préféreront 13 à 14 heures de train à moins de 2 heures d’avion. Mais elle ne le veut pas : « Les trains de nuit circulant en France ne sont pas accessibles aux personnes qui ne peuvent plier leur fauteuil et faire quelques pas », justifie une employée d’Accès Plus.

C’est le ministère des Transports qui explique comment les clients handicapés peuvent acheter un billet sur le Paris-Berlin : « Les utilisateurs de fauteuil roulant sont gérés directement par les ÖBB via leur call-center ouvert de 6h00 à 21h00. Ils peuvent également réserver leur place via www.nightjet.com ou www.oebb.at [sites en allemand NDLR] et réserver leur prestation d’assistance via le formulaire en ligne des ÖBB. Les autres PMR peuvent réserver leur place via un canal de distribution SNCF et réserver leur assistance via Accès Plus. » Donc pour aller à Berlin, il faut acheter son billet en Autriche ! Cela, bien que la liaison Paris-Berlin soit subventionnée par la France à hauteur de 10 millions d’euros par an, soit 25.000€ pour chaque train ! Notre législation subordonne pourtant le subventionnement d’un nouveau service de transport à son accessibilité, condition théoriquement remplie pour les trains de nuit Paris-Berlin puisque le matériel roulant permet le voyage de clients handicapés moteurs.

Mais cette condition n’est pas remplie pour les trains de nuit ne sortant pas des frontières nationales : le tout nouveau Paris-Aurillac subventionné près de 4 millions d’euros emploie des trains inaccessibles, tout comme les autres. « La réglementation en vigueur (même européenne) ne fait pas une obligation de mettre en accessibilité le matériel ancien, dans la mesure où il n’y a pas d’opération lourde de modernisation, précise le ministère des Transports. Concrètement, aujourd’hui aucun espace n’est dimensionné pour accueillir un fauteuil. Les voitures Corail de nuit n’ont bénéficié que d’une opération légère de rénovation [de 100 millions d’euros NDLR], ce qui les place dans cette dérogation. Il faut avoir conscience que rendre accessible ces voitures Corail conduirait à une opération lourde (et très coûteuse) sur les caisses, et donc en réalité au renoncement et à l’arrêt des trains de nuit. » En clair, la mise en accessibilité des trains de nuit existants les condamnerait à mort ; quel client handicapé voudrait ça ?

La compagnie autrichienne ÖBB croit, elle, au développement des trains de nuit et a investi 700 millions d’euros dans l’achat d’une trentaine de trains neufs. En France, SNCF et Gouvernement tergiversent ; si le précédent ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, avait il y a tout juste deux ans affiché sa volonté de relancer une dizaine de lignes d’ici 2030 avec du matériel neuf, aucune décision n’a suivi. « Le nouveau matériel roulant de nuit répondra aux obligations d’accessibilité avec une voiture par rame accessible », affirme actuellement le ministère des Transports. En attendant que cette promesse devienne réalité, les personnes handicapées motrices devront continuer durablement à voyager par avion…

Laurent Lejard, décembre 2023.

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