Chaque mi-novembre est habituellement occupée par les deux semaines pour l’emploi des personnes handicapées, celle de l’Agefiph et l’européenne de Ladapt. Cette année, ces « semaines » qui se déroulent aux mêmes dates (16 au 22 novembre) ont débuté trois jours après les terribles attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis, faisant 129 morts et 350 blessés graves, traumatisant la population, plaçant le pays en état d’urgence. On pouvait en mesurer l’une des conséquences par la faible affluence au forum organisé le 18 novembre à Paris par Ladapt : beaucoup de candidats ont visiblement renoncé à venir rencontrer des employeurs potentiels alors qu’à Saint-Denis la police lançait des assauts pour neutraliser des terroristes présumés dont le probable commanditaire et organisateur des attentats du 13.
Toutes les visites ministérielles prévues lors de ces semaines ont été annulées, ce qui n’a pas empêché la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées de s’exprimer dans Le Parisien sur la situation de l’emploi des personnes handicapées. Son credo : « Former les personnes handicapées c’est lutter contre le chômage ». C’est bien nécessaire, tant le niveau de qualification de la plupart des demandeurs d’emploi travailleurs handicapés est faible. Si le nombre de jeunes handicapés scolarisés en établissements ordinaires a fortement progressé, peu d’entre eux parviennent au baccalauréat puis à suivre des études universitaires, ils étaient 18.000 en 2014 sur 2,4 millions d’étudiants et élèves de grandes écoles toutes filières confondues, soit 0,75%. Les autres ne peuvent guère compter que sur la formation professionnelle, mais le financement de celle-ci a été transféré à l’Agefiph en 2011 par le Gouvernement de l’époque, dirigé par François Fillon, avec la perte nette de 100 millions d’euros de budget. Les gouvernements suivants, conduits par Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, n’ont toujours pas compensé cette perte budgétaire. Manuel Valls l’a au contraire aggravée en décidant de prélever en 2015, 2016 et 2017, 28 millions d’euros sur les réserves financières de l’Agefiph, lesquelles se montent actuellement à 90 millions d’euros alors que les ressources de cet organisme sont depuis plusieurs années nettement inférieures à ses dépenses.
On le voit, le credo de Ségolène Neuville est creux, cela fait des décennies qu’il n’y avait pas eu aussi peu de moyens pour former les travailleurs handicapés. D’autant que la ministre ne considère que les conséquences et pas les causes, quand elle relève que « chaque année, des dizaines de milliers de personnes se retrouvent du jour au lendemain au chômage pour inaptitude […] Quelle formation, quel autre métier leur proposer ? Ce levier n’a pas été suffisamment travaillé jusqu’à présent, ni par nous, ni par nos prédécesseurs, et je voudrais m’y attaquer plus spécifiquement. » Et faire respecter la loi ? 95% des travailleurs devenant inaptes sont licenciés au mépris de la loi qui prévoit leur reclassement : la faire respecter n’est pas la voie suivie par la ministre. Il est d’ailleurs dans les projets gouvernementaux de réformer à la fois la médecine du travail, qui organise ce reclassement, et de réformer la législation sur l’inaptitude pour dégager les employeurs de leurs obligations.
Ségolène Neuville veut également agir pour multiplier par trois les accords d’entreprise en faveur de l’emploi des personnes handicapées. Dans ce cadre, l’employeur ne verse plus de contribution à l’Agefiph mais la conserve pour mettre en place diverses actions. En pratique, cela se traduit par l’achat de publicités et publi-reportages dans des supports de presse coûteux, la réalisation de documentaires promotionnels hors de prix, le soutien de sportifs de haut-niveau et autres actions de pure communication. Théoriquement, l’Administration contrôle mais en pratique, elle en a peu les moyens, et rares sont les entreprises redressées après avoir dilapidé sans embaucher ni maintenir dans l’emploi. Laisser les employeurs libres d’utiliser l’argent qu’ils devraient verser en faveur de l’emploi réduit davantage encore les moyens de former les travailleurs handicapés, mais la contrainte n’est plus dans l’air du temps. Le résultat est là, le nombre de travailleurs handicapés employés dans les entreprises assujetties à l’obligation est en baisse, représentant 3,1% des effectifs et non pas « environ 4% » comme l’affirme Ségolène Neuville. Avec une telle politique, le chômage des personnes handicapées a de l’avenir…
Laurent Lejard, novembre 2015.