L’espoir était vain : l’alternance politique n’apportera pas une nouvelle approche de l’accessibilité aux personnes handicapées (ou à mobilité réduite) à ce qui leur est aujourd’hui difficile ou interdit. Confronté à la déshérence de la mise en oeuvre de cette accessibilité, le Gouvernement s’est empressé de ne pas prendre de décision, préférant renvoyer cette responsabilité sur un tiers, la sénatrice socialiste Claire-Lise Campion, chargée d’une mission de réflexion pour formuler lesdites propositions en ce mois de février. Il semblerait d’ailleurs qu’une partie du texte ait été largement écrite avec la collaboration très active de la Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité, Marie Prost-Coletta. Mais ce déni de responsabilité politique va plus loin encore : le Président de la République vient d’annoncer que le rapport de la sénatrice Campion serait remis au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), ce qui entrainera probablement deux mois de délai supplémentaires avant que celui-ci n’émette un avis. Fort des propositions Campion et de l’avis du CNCPH, le Gouvernement pourra ainsi annoncer en grande pompe, lors d’un Comité Interministériel du Handicap, les « décisionnettes » qu’il prendra. Il ne restera alors que 18 mois avant les échéances légales des 1er janvier et 12 février 2015, délai insuffisant pour légiférer ou même modifier les textes réglementaires sans repousser les dates-limites et finalement mécontenter tout le monde.

Pourtant, pendant que les politiques se renvoient cette « patate chaude », l’Administration travaille et les lobbies récoltent. Il semblerait en effet que des textes d’application d’une dérogation à l’accessibilité dans les nouvelles résidences de tourisme, universitaire ou d’hébergement temporaire soient en cours d’élaboration. Cette dérogation a été introduite dans la loi Paul Blanc du 28 juillet 2011 mais n’est pas applicable faute du décret ad hoc. Les grands promoteurs de ces résidences poussent toujours pour rétablir un droit à construire inaccessible et exigu qui leur a été retiré par le Conseil d’État le 21 juillet 2009; ils avaient pourtant obtenu du précédent gouvernement quatre tentatives successives d’introduction de dérogations, deux fois supprimées par le Conseil Constitutionnel, la quatrième étant la bonne. L’enjeu financier est, dans ce domaine, considérable.

On aurait pu croire que l’alternance politique entrainerait une mise aux oubliettes de dérogations essentiellement basées sur la maximalisation de la rentabilité d’opérations immobilières; ou à tout le moins une autre approche de concertation, en mettant en débat au CNCPH le principe-même de mise en oeuvre de cette dérogation qui a été fortement contestée par ces représentants d’associations de personnes handicapées. Les conditions acceptables de cette dérogation auraient éventuellement été définies, et l’Administration aurait écrit un texte en conséquence. C’est l’inverse qui risque de se produire : le CNCPH continuera à se prononcer sur des textes préalablement écrits, le Gouvernement n’étant pas tenu de suivre un éventuel avis défavorable.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », faisait dire Lampedusa à l’un des personnages du Guépard : nous y voilà.

Laurent Lejard, février 2013.

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