« Cachez ce zanzan que je ne saurais voir » : Tartuffe était sur scène au théâtre de Bastia le 26 mai dernier, incarné par l’humoriste multicartes Stéphane Guillon. Un homme tétraplégique venu ce soir-là assister au spectacle du comique dont il apprécie les sketches a subi la « Guillontine » : sujet au trac, l’histrion ne peut en effet supporter de charrier les personnes handicapées alors qu’un spectateur handicapé placé au premier rang le regarde… Le régisseur du Grand Artiste s’est donc chargé d’exiler l’intimideur, d’abord en fond de salle (mais le respect des règles de sécurité ne le permettait pas) puis à côté de la scène, dans les coulisses. Motif officiel selon Stéphane Guillon : « Je ne voulais pas qu’il soit mal à l’aise et que le public soit dérangé par sa présence sur un fauteuil roulant. »

Etrange explication : on ne savait pas qu’un spectateur handicapé générait intrinsèquement un dérangement pour le public justifiant un traitement discriminatoire du genre « mettez-moi ça dans un coin où ça gène pas ». Confronté à la polémique résultant de son caprice de vedette, Stéphane Guillon impute courageusement la faute à son équipe qui aurait mal géré la situation. Mais le fait est là : chez Guillon, on s’amuse entre gens « valides d’apparence ».

Parce que la question est celle-là : un artiste qui se produit sur scène peut-il sélectionner le public auquel il s’adresse, un peu à la manière des talk-shows qui encombrent les programmes télé ? Sans « handicapés d’apparence » ? Que se passerait-il si le Grand Artiste « éloignait » dans une salle de spectacle des « musulmans d’apparence », des « juifs d’apparence », des « homosexuels d’apparence », voire des… « noirs d’apparence » ? Les associations de lutte contre l’homophobie, le racisme ou l’antisémitisme hurleraient instantanément à la discrimination (et elles auraient raison), les politiques s’exprimeraient, la justice serait saisie.

Mais qu’un Guillon exile un spectateur handicapé laisse de marbre les associations de défense des personnes handicapées, les hommes politiques et la justice : aucun communiqué, aucune réaction au moment où ces lignes sont écrites. Comme si cette pratique était normale : les zanzans sont tolérés là où ils ne dérangent pas le public. Et dire que cela fait des mois qu’on nous bassine avec le changement de regard sur les personnes handicapées depuis qu’une certaine comédie fait des dizaines de millions d’entrées au cinéma… Il faudrait la montrer à Stéphane Guillon, et scruter son regard.

Laurent Lejard, juin 2012.

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