Les ministres du Travail et de l’Intérieur, Olivier Dussopt et Gérald Darmanin, pensent avoir trouvé l’idée de génie qui assurera le plein-emploi dans les « métiers en tension » ! Cet euphémisme technocratique désigne les professions, dans les secteurs de la cuisine, construction, travaux publics et aussi aide humaine au domicile de personnes handicapées ou âgées dépendantes, que fuient les travailleurs ayant d’autres solutions. Les causes sont multiples, entre mauvaises conditions de travail, bas salaires, émiettement du temps de travail, faible considération voire dévalorisation professionnelle, etc. Pour combler les lacunes, les deux ministres vont défendre pendant l’hiver prochain un projet de loi régularisant le séjour en France de travailleurs sans papiers qui s’engageraient dans les métiers en carence. Fondateur de la plate-forme Aladom de mise en relation entre personnels et employeurs (entreprises, associations ou particuliers) du secteur de l’aide à domicile, Guillaume Thomas revient sur ce que l’on peut attendre de cet éventuel apport de main-d’oeuvre, et de ce qu’il implique.

Question : Actuellement, quelle part de travailleurs non-résidents en France avez-vous en portefeuille ?

Guillaume Thomas

Guillaume Thomas : C’est un peu difficile à savoir, on ne demande pas d’information sur le séjour en France. On s’assure seulement que l’emploi est déclaré. Il y a quand même quelque chose de complexe concernant les personnes étrangères, et c’est vrai que là-dessus il n’y a pas vraiment de statistiques. Mais sur notre plate-forme, on ne met en relation que des personnes qui ont une autorisation de travail.

Question : Comment le vérifiez-vous ?

Guillaume Thomas : On est un intermédiaire, ce n’est pas nous qui allons employer les personnes. C’est aux employeurs de s’assurer effectivement que la personne qu’ils recrutent est bien dans la légalité. Les entreprises vont savoir le faire, c’est un peu plus compliqué pour les particuliers-employeurs. On sait que des personnes en situation irrégulière utilisent des papiers falsifiés ou ceux d’un membre de la famille. Le recrutement se fait souvent sur la bonne foi du travailleur, et parfois des particuliers-employeurs se retrouvent en situation irrégulière parce que la personne qu’ils emploient n’a pas de carte de séjour ou l’autorisation de travailler. Comme ils ne sont pas spécialistes du recrutement, ils ne vont pas forcément être en mesure de vérifier que les papiers présentés sont conformes.

Question : Pour une entreprise comme Aladom, en quoi l’ouverture d’un recrutement de travailleurs étrangers résidant en France ou venant de l’étranger peut alléger la tension sur les métiers qui la vivent ?

Guillaume Thomas : Ce que l’on voit clairement, c’est qu’aujourd’hui dans les secteurs peu attractifs comme les services à la personne il y a une pénurie de personnel. Les entreprises du secteur se retrouvent en sous-effectif. On constate, sur la partie service à domicile, qu’entre 25 et 30% des offres ne trouvent pas l’intervenant qui va bien. C’est une perte de chiffre d’affaires et pour les bénéficiaires des difficultés à trouver des solutions. Il y a clairement quelque chose à faire pour que plus de personnes aillent vers ces métiers aujourd’hui peu attractifs, en grande partie parce qu’ils sont peu payés, au SMIC et avec beaucoup de temps partiel. Une façon d’améliorer les choses serait de revaloriser ces métiers et surtout d’augmenter les salaires mais on est sur une équation assez complexe. Si on regarde les services aidés par l’Allocation Personnalisée d’Autonomie ou la Prestation de Compensation du Handicap, on va se retrouver avec un tarif autour de 23€ de l’heure tout compris, donc ça veut dire qu’il faut mettre dedans le salaire de la personne, les charges qui vont avec, les frais de fonctionnement de la structure et il est assez difficile d’avoir des salaires au-delà du SMIC. Les entreprises essaient de le faire, mais le modèle économique des sociétés est assez complexe, on est à quelques euros de marge sur une heure de service et quand on prend en charge la formation, les congés, etc., ça met en péril la viabilité de ces sociétés-là.

Question : Pour Aladom et ses clients, quel est le tarif horaire nécessaire pour les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées qui ont besoin d’aide humaine ?

Guillaume Thomas : Les tarifs que pratiquent les sociétés avec lesquelles on est en relation se situent entre 20 et 28€ de l’heure. Ça va dépendre de la zone géographique, on sera un peu plus cher dans les villes et selon le besoin de qualification. Certains services ne nécessitent pas de diplôme particulier, si c’est juste aider une personne à prendre les repas ou pour se promener, ou des activités pour quelqu’un qui n’est pas trop dépendant. Alors que dès que l’on rentre dans certaines pathologies, il faut un diplôme d’auxiliaire de vie et donc là les personnels sont payés davantage et les tarifs plus élevés.

Question : Quelques pays dont l’Allemagne ont créé des des agences d’importation de main d’oeuvre. Avez-vous constaté ce phénomène sur la plate-forme Aladom ?

Guillaume Thomas : Non. Pour que les clients bénéficient des avantages fiscaux [réduction d’impôt de 50% du salaire et cotisations sociales NDLR], il faut une structure enregistrée en France et agréée service à la personne.

Question : Une société internationale peut créer une filiale française, ou une société française importer des auxiliaires de vie de pays de l’est européen ou extra-européens, ce qui va poser la question de l’équivalence de qualification ou de diplôme…

Guillaume Thomas : Je n’ai jamais entendu parler de structures qui pratiqueraient ça, feraient venir du personnel comme ça. En France on n’en a pas. Aladom fait partie de plusieurs fédérations d’entreprises de services à la personne, c’est un sujet dont je n’ai jamais entendu parler. J’imagine que pour faire venir des personnes de pays de l’Est, il faudrait organiser tout ce qu’il faut, comme le logement, et comme au final les salaires sont limités, j’ai un peu de mal à voir comment une société pourrait dégager quelque chose là-dessus. Et il y a la barrière de la langue : dans ces services-là, on intervient au domicile et on attend des travailleurs qu’ils puissent communiquer avec les personnes aidées.

Question : Finalement, la proposition des deux ministres vous semble-t-elle applicable au secteur de l’emploi à domicile, et notamment auprès des publics vulnérables ?

Guillaume Thomas : Elle peut permettre de mettre dans la légalité certains emplois qui sont un peu limite. Plutôt que de faire appel à une garde d’enfant non déclarée, on passerait par quelqu’un qui a des papiers dans le cadre de cette prestation ; en gros, vous vous engagez à employer une nounou pendant un an, cette personne aura une autorisation de travailler pendant un an. Et également en zone rurale où on peine à avoir des personnels, on pourrait imaginer que ce dispositif permettrait de trouver des travailleurs et de les régulariser. Ce serait une façon de ramener dans la légalité des emplois non déclarés et donc, pour le coup, de récupérer des cotisations supplémentaires et puis de former, d’intégrer des personnes vers ces métiers. On nous dit qu’il y a 5 millions de chômeurs en France, mais avec le manque d’attractivité de ces métiers, on n’arrivera pas à trouver au sein de Pôle Emploi des personnes qui seraient prêtes à les occuper.

Laurent Lejard, novembre 2022.

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