La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République n’a pas fait dans la nuance. Conçue surtout contre les familles musulmanes au prétexte que nombre d’entre elles auraient des pratiques séparatistes à l’égard des principes de la République Française, elle a imposé l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’Éducation nationale pour instruire les enfants et jeunes à la maison. Et si cette loi prévoit quatre motifs de dérogation (état de santé ou handicap, pratique intensive d’activités sportives ou artistiques, itinérance ou éloignement géographique, situation spécifique), les familles dont un enfant ou jeune vit avec un handicap empêchant ou restreignant fortement son inclusion scolaire figurent parmi les victimes de cette loi répressive.
Si beaucoup courbent l’échine, d’autres s’organisent dans des associations et collectifs pour maintenir un droit palliant les carences de l’Éducation nationale en matière d’accueil et enseignement effectivement inclusifs, tenant compte des besoins individuels de chaque élève handicapé, et préservant une vie de famille la plus harmonieuse possible.
C’est le combat qu’a mené avec succès Gaëlle Messant-Spy, représentant l’association Les enfants d’abord et Les pousses libres, collectif de Seine-et Marne pour l’instruction en famille (IEF), dont les trois enfants vivent avec des troubles autistiques, dont deux sont instruits en famille. « Mon aîné de 17 ans qui a aussi des troubles Dys a été instruit en famille, puis a choisi d’intégrer un lycée en classe de première, ça s’est très bien passé, avec un excellent accueil de l’équipe pédagogique. Ma cadette a été également instruite en famille, et entrera l’an prochain au lycée pour ses 15 ans, à sa demande. Et le benjamin, qui a tout juste 9 ans, est en instruction en famille au motif de son handicap. » Interlocutrice des pouvoirs publics, Gaëlle est très active tout en assumant le choix de privilégier la vie familiale, d’autant moins dirigée contre l’école qu’elle était institutrice avant de se consacrer à ses enfants : « C’est juste une autre façon de faire, un autre moment de vie. Les premières années, c’était agréable pour nos enfants et pour nous de prendre le temps de respecter leur rythme, leur curiosité, ne pas être interrompus. Ça nous a ouverts, du fait de la proximité de la région parisienne et de tarifs avantageux pour bénéficier d’une offre culturelle dont on n’aurait pas pu profiter si on avait subi des horaires scolaires imposés. » Une pratique de l’IEF qui n’a rien à voir avec des dérives séparatistes religieuses ou sectaires, d’ailleurs absentes du rapport remis récemment à la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès. Un autre rapport émanant de la Direction générale de l’enseignement scolaire de l’Éducation nationale établit à 98% des mineurs concernés la validation du niveau scolaire. Sur les 71.000 élèves en famille contrôlés, 2% seulement relèveraient d’un évitement scolaire. La durée moyenne d’IEF n’est que de 18 mois, les familles y ont essentiellement recours du fait d’une situation temporaire.
Une mécanique infernale et broyeuse d’enfants
Le nouveau régime nécessite de fournir à l’administration de l’Éducation nationale de nombreux documents justifiant du handicap de l’enfant, parmi lesquels des certificats médicaux précis dont la confidentialité n’est pas garantie. De plus, elle interprète étrangement la loi : « Le système est devenu pervers parce des rectorats demandent aux parents de prouver que leur enfant n’est pas scolarisable. D’un point de vue éthique, réserver l’instruction en famille à des enfants qui seraient impossibles à scolariser, d’une part c’est un gros souci parce que ça crée un précédent révoltant, et d’autre part déclarer qu’un enfant est impossible à scolariser n’est pas légal. » Gaëlle rappelle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a publié le 28 janvier 2021 un avis défavorable sur le projet de loi et demandé le maintien du régime déclaratif. Et elle s’indigne de l’obligation pour les parents d’avoir au moins le baccalauréat sauf pour instruire leur enfant handicapé ou malade « comme si ce n’était pas important d’avoir le bac pour eux. »
Dans le même temps, « L’Éducation nationale ne remet pas en question ses capacités d’accueil. L’Académie de Créteil est la plus restrictive en autorisation d’IEF, et la plus en difficulté en matière de dotation en moyens humains et matériels. Quand on signale à l’Administration la surcharge sensorielle d’un enfant et qu’on liste l’ensemble de ses besoins, la réponse est bureaucratique : l’école saura s’adapter car il y a une loi sur l’inclusion. » Cela d’autant qu’aucun fonctionnaire ne reçoit les enfants concernés, et que les demandes sont décisionnées uniquement sur dossier. Au final, des directeurs d’écoles, collèges ou lycées peuvent décider qu’un enfant ou jeune ne peut être accueilli du fait de son handicap et du manque de moyens nécessaires alors que l’inspection académique a refusé l’instruction en famille, créant ainsi une situation administrative d’exclusion scolaire !
« En 2022, le service juridique des Enfants d’abord a été contacté par la famille d’une fillette sous dialyse, non verbale, une situation lourde. L’IEF lui a été refusée, on a monté un recours en fournissant une masse de documents, fait intervenir un député. En plus de s’occuper de leur enfant et de la lourdeur des soins de maintien en vie, la famille devait supporter les formalités, un coût humain exorbitant. Pour se dédouaner, l’Administration lui a proposé l’enseignement à distance par le CNED réglementé, ça n’avait pas de sens avec une fillette non verbale. » Mais comment comprendre que l’Éducation nationale refuse trop souvent l’instruction en famille alors qu’elle est incapable d’assurer à tous les enfants handicapés une scolarisation correcte ? « On est dans l’idéologie, il faut scolariser. L’Administration ne fait pas confiance aux familles dont les enfants sont suivis par des professionnels de santé, elle ne fait pas confiance aux médecins, aux accompagnants, aux paramédicaux qui connaissent les enfants et leur potentiel. Leurs avis peuvent être balayés par celui d’un médecin scolaire qui n’a jamais vu l’enfant et décide que la scolarisation est possible. » Et en se référant à Jules Ferry et sa loi de 1882 sur l’instruction obligatoire, Gaëlle Messant-Spy conclut ainsi : « Il a imposé le libre-choix. On peut être pour l’instruction en famille et une école de qualité, et on doit être pour les deux, c’est essentiel. »
Laurent Lejard, novembre 2024.