L’administration de l’Éducation nationale est l’une des plus rigides qui soit, et celle de l’Enseignement supérieur est éparpillée dans les établissements du fait de l’autonomie des universités. Des élèves et leurs parents, ainsi que des enseignants et personnels administratifs, confrontés à des difficultés peuvent saisir après un premier recours infructueux la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot, titulaire de la fonction depuis tout juste 4 ans, et qui a traité l’an dernier 913 réclamations d’usagers handicapés.

Question : En quoi consiste la fonction de médiateur ?

Catherine Becchetti-Bizot : C’est d’abord un tiers dans lequel le système éducatif a placé sa confiance. Le médiateur est là pour favoriser le dialogue et permettre une meilleure compréhension entre deux parties, l’une étant l’institution représentée par son administration, ses agents, ses cadres, et de l’autre côté les réclamants : usagers individuels, personnels, élèves, étudiants. La mission du médiateur est d’aider d’une manière neutre et impartiale chacune des parties à renouer le dialogue, trouver une issue à leur désaccord. Ce qui caractérise notre médiation institutionnelle, c’est de mettre au même niveau un individu et l’institution. C’est ce qui est difficile, parce que l’institution travaille sur la base d’accords et de réglementations qui concernent la grande masse des personnes, alors que l’individu arrive souvent assez désarmé ; il n’a pas la même connaissance du code, des règles, du droit. Il présente sa difficulté sous l’angle de sa situation personnelle et ressent fréquemment les règles de l’administration comme injustes ou injustifiées, pas légitimes, pas équitables surtout.

Question : Quelle évolution a connu la fonction depuis sa création en 1998 ?

Catherine Becchetti-Bizot : Rien n’a changé, le médiateur intervient toujours de la même façon. Ce qui a changé, c’est le nombre de réclamations, d’intervenants et de correspondants du médiateur dans les académies. Depuis le décret de création du 1er décembre 1998, la loi d’autonomie des universités l’a confirmé en 2007. Au début, les saisines provenaient essentiellement des personnels ; aujourd’hui, la proportion s’est inversée, 80% des 19.000 saisines de 2020 émanaient des usagers, et un tiers d’entre elles concernent l’enseignement supérieur. Le nombre de médiateurs académiques qui traitent leurs réclamations a augmenté mais il est encore insuffisant, en tous cas on fait ce qu’on peut.

Question : Vous disposez de combien de médiateurs ?

Catherine Becchetti-Bizot : L’année dernière, j’ai réussi à en avoir 64. Ce sont des personnels bénévoles, retraités de l’Éducation nationale, choisis pour leur connaissance du système éducatif, leur ancienneté, leur engagement. Ils sont une dizaine au pôle national, au ministère, et je vais cette année encore essayer d’augmenter leur nombre. Ils sont nommés par arrêté ministériel et ne sont pas sous l’autorité des services académiques ou des recteurs. Le premier médiateur ne voulait pas de personnels qui soient encore dans un parcours de carrière, sous l’autorité de l’administration.

Question : Dans votre rapport pour 2020 on ne constate que 913 saisines d’usagers invoquant une situation de handicap. Sur quels aspects portent-elles ?

La médiatrice de l'éducation nationale remet son rapport 2020 au ministre

Catherine Becchetti-Bizot : Vous dites « seulement », mais c’est beaucoup, et en augmentation constante. Il est important de savoir qu’on saisit le médiateur en dernier recours. On ne peut le saisir qu’après un premier recours auprès de l’administration pour contester une décision. Quand l’affaire arrive au médiateur, elle a déjà suivi tout un processus en amont de la demande et qui n’a pas abouti à un résultat satisfaisant. Les DASEN [directeurs des services départementaux de l’éducation] reçoivent des réclamations, la cellule Aide Handicap École répond aux questions par téléphone et traite de nombreuses demandes d’informations et réclamations. Les réclamations reçues par le médiateur concernent pour un gros tiers l’enseignement et la vie dans l’établissement, par exemple des difficultés à mettre en place une continuité pédagogique l’année dernière pendant les confinements et la crise sanitaire, les accompagnements et le manque d’accompagnants d’élèves en situation de handicap, les aménagements de scolarité, les situations conflictuelles dans la classe avec des enseignants mal préparés à accueillir des élèves handicapés. Et pour certains types de handicap, des comportements d’élèves – je le dis avec précaution – perturbent le fonctionnement de la classe, des refus de port du masque liés à l’état de santé ou des handicaps, des difficultés lors de la réouverture des classes après les confinements. Une autre part importante de réclamations concerne l’inscription aux examens et l’orientation, que ce soit l’affectation d’élèves dans des collèges et lycées ou l’enseignement à distance ; ce n’est pas toujours simple d’accéder au CNED [Centre national d’enseignement à distance] dont les conditions d’inscription sont strictes. Le troisième paquet de requêtes concerne les examens et concours. Je dois vous dire que l’aménagement des épreuves est l’un de mes combats, en particulier pour les élèves bénéficiant d’un PAP [Plan d’Accompagnement Personnalisé] et qui n’ont pas une reconnaissance de leur Maison Départementale des Personnes Handicapées : ils ont du mal à obtenir des aménagements et surtout à les faire mettre en oeuvre dans la continuité lors des examens. Il peut arriver que des enseignants mettent en place des aménagements pendant la scolarité qui ne sont pas reproduits pour des élèves quand ils arrivent à l’examen, ils se trouvent alors en difficulté. Le médiateur a fortement contribué à faire évoluer la situation pour une continuité des aménagements.

Question : Quel impact ont eu sur les saisines la suppression l’an dernier de l’observatoire de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement et en 2017 du délégué ministériel à l’emploi de travailleurs handicapés ?

Catherine Becchetti-Bizot : Je ne peux pas le dire pour l’instant, je n’ai pas constaté d’impact, peut-être parce que d’autres choses les ont remplacés. Il existe une cellule du bâti scolaire à la direction générale de l’enseignement scolaire en charge, notamment, des questions d’accessibilité. La direction générale de l’enseignement supérieur suit de très près l’accessibilité des établissements dans le cadre du suivi national du plan d’action même si les universités sont autonomes.

Question : Quelles sont vos actions auprès des collectivités locales qui gèrent les établissements scolaires, et les universités ?

Catherine Becchetti-Bizot : Il est très rare de devoir intervenir sur l’accessibilité en termes matériels, c’est le rôle de l’administration académique. Le médiateur peut alerter, faire des recommandations, par exemple on l’a fait il y a trois ans pour l’enseignement supérieur sur le fait que le ministère fonctionne à moyens constants pour les étudiants en situation de handicap, 7,5 millions d’euros pour l’accompagnement individuel alors que le nombre d’étudiants handicapés a considérablement augmenté. Mais on n’a pas de prise directe parce que le médiateur intervient sur les acteurs décisionnaires. C’est dans le dialogue entre les universités et les territoires, entre les directions académiques et les territoires que les solutions se trouvent.

Question : Quelles réglementations problématiques le médiateur a-t-il contribué à faire évoluer ?

Catherine Becchetti-Bizot : Il y en a plusieurs. Le dernier exemple en date, c’est la portabilité lors des examens des aménagements accordés pendant la scolarité. Là, le médiateur a pesé par sa très forte recommandation qui a abouti à la création d’un groupe de travail avec des associations de parents, les collectivités, le ministère, les académies. Avec la crise sanitaire, il a eu beaucoup de mal à avancer, mais a finalement abouti au décret du 4 décembre 2020 dans le sens d’une cohérence entre aménagements durant l’année scolaire, examens et concours. Avant, au passage de chaque niveau, la famille devait recommencer les formalités, avis du médecin, dépôt d’une demande spécifique d’aménagement des épreuves. Pour Parcoursup, nos recommandations ont toutes été mises en oeuvre, en particulier la création d’une commission académique de recours en cas d’absence de place dans les établissements demandés. L’accessibilité de sa plateforme Internet a été mise aux normes [conforme sauf pour les vidéos NDLR] et on vient d’obtenir la même chose pour Trouvermonmaster [accessibilité partielle à 68% actuellement NDLR]. Les recommandations du médiateur portent, elles sont prises en compte par les directions du ministère dans une approche globale. Pour le médiateur la scolarisation des enfants et des étudiants en situation de handicap, ainsi que les personnels, sont des sujets « coeur de métier » ; j’ai toujours été convaincue que ce qu’on arrive à faire pour eux bénéficie à l’ensemble du système éducatif et nous fait progresser.

Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2021.

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