La famille a résisté et elle poursuit une vie commune aussi normale que possible. Et pourtant la naissance de Yanis, second fils d’Awa et de Fred, a constitué un véritable séisme : des dizaines de crises quotidiennes d’épilepsie ont secoué le bébé dès ses premières heures, résistantes aux traitements. C’est au fil des années que les efforts médicaux et l’attention familiale ont rendu la vie supportable pour Yanis, mais en lui infligeant un polyhandicap nécessitant une attention permanente. Pour ne pas hypothéquer sa vie, la famille s’est réorganisée. Awa s’est lancé dans la création d’une micro-crèche, mobilisant amis, partenaires privés et pouvoirs publics, un moyen d’assurer la garde et l’éveil de son fils tout en offrant un service utile à d’autres familles. C’est là le coeur du témoignage qu’Awa Camara livre dans Le tiroir à bonheurs, un récit publié chez S-Active : aider les autres en s’aidant soi-même.

Déculpabiliser pour vivre.

Fred et Awa

Aujourd’hui, Yanis est accueilli dans un établissement tout proche de la famille, une chance rare : « Il est parti ce matin, confie Awa, il est interne dans un Etablissement pour Enfants et Adolescents Polyhandicapés (EEAP) à 500 m de la maison. Après une période en externat, il a progressivement intégré l’internat. C’est une proximité rassurante, petit à petit on a lâché prise. » Cette intégration progressive n’était pas évidente, la prise en charge étant généralement rigide, externe ou interne mais pas trois jours l’un et deux nuits l’autre : « Ce qui manque dans le polyhandicap, c’est le sur-mesure. On en a besoin pour garder une vie de famille. Mais en se préservant, notre couple compris, on a pu co-construire l’avenir avec Yanis et sa fratrie. Il faut négocier, prévenir. La nuance n’est que dans l’expérimental. Une place, c’est comme si on nous faisait un cadeau, et à force de remercier on oublie qu’on peut parfois avoir le choix. On a notre rôle à jouer pour faire bouger les lignes, parler de nos difficultés, de nos besoins pour les faire exister. » Les deux parents ont dû affronter un risque de culpabilisation, et au début Awa utilisait toutes les raisons possibles pour aller voir Yanis. « Il y a plein de choses à travailler, sur nous, notre couple. Lorsqu’on est fragilisé, le regard des autres peut renvoyer à l’abandon. Si on a confiance en nos choix, on devient hermétique à la critique. Alors qu’on rencontre plein de parents, de parcours différents, il faut déconstruire la perception pas d’internat. »

Théâtre forum ©Jean-Christophe Bardot

Assistante sociale lors de la naissance de Yanis, la carrière d’Awa a évolué : « Je me considère comme comme une ingénieure sociale, je souhaite trouver des solutions pour les personnes en situation de handicap et leurs proches. Avec Maïmouna Ba, sociologue de formation, nous avons créé avec la crèche L’abeille et le papillon un service de garde à domicile, l’idée et l’organisation sont venues lors du confinement. Ce service hors les murs est dédié aux parents en insertion sociale et professionnelle, handicap inclus, en partenariat avec la préfecture des Yvelines. Dans le cadre de l’association Second souffle, on a mis en place un réseau de permanences physiques et téléphoniques sur Saint-Quentin-en-Yvelines pour accompagner dans leurs parcours les parents d’enfants, de jeunes ou d’adultes en situation de handicap. Nous y recevons certains parents dont les enfants sont sans prise en charge, sans solution de mode de garde ou scolarisés 2 heures par jour, ou pas du tout. Le zéro sans solution devrait exister, mais en pratique il y a beaucoup de parents en difficulté. » Pour monter et faire aboutir ces projets « d’ingénierie sociale », Awa Camara s’est appuyée sur sa formation et son expérience d’assistante sociale, et l’ensemble d’un parcours de vie tourné vers les autres parce que les siens, son mari, ses enfants, font partie de ce tout dans lequel elle s’accomplit.

Même si parfois le corps et le mental faiblissent, qu’il faut se poser quelques temps pour mieux repartir : « Étant assistante sociale, j’ai pu trouver des solutions mais beaucoup de parents n’y parviennent pas, ils ne sont pas informés. Ceux qui se débrouillent le mieux sont ceux qui savent gérer l’administratif, ça demande des compétences. Pour moi, il y a les aidants non-professionnels, qu’on appelle les aidants familiaux ou les proches aidants, et il y a les aidants professionnels. Je suis devenue les deux. Lors de la création de la première crèche [qu’elle raconte dans son récit], c’était une solution entre nous. Maintenant on est dans la pair-aidance. » Les parents aident d’autres parents qui les aident en retour sur d’autres aspects de la vie, ou la simple présence d’un sourire : « Ce que j’ai remarqué, c’est qu’il y a des actions pour les aidants mais les gens hésitent à y aller. Je fais le pari qu’à l’avenir plus il y aura d’aidants pour se regrouper, plus ils s’investiront. Ce sont aussi les familles concernées qui doivent améliorer la visibilité de l’aidance. »

Agir pour soi et les autres.

Couverture du livre Le tiroir à bonheurs

Le témoignage écrit d’Awa n’est pas qu’un livre, c’est aussi un moyen d’action : « On l’a adapté en pièce de théâtre, suivie d’un débat. L’objectif est de permettre aux aidants de s’identifier, de leur montrer qu’il est possible de trouver son propre chemin d’accompagnement, de mobiliser ses propres ressources, d’inviter le grand public à se questionner sur cette thématique, et aussi de mener une réflexion sur le rôle et les pratiques professionnelles en relation avec les parents d’enfants en situation de handicap. La 1ere représentation devrait avoir lieu le 18 mars prochain à Guyancourt, avec deux comédiennes. On présentera la construction d’un parcours de vie depuis l’annonce du handicap. » Une mise sur scène qui succède à du théâtre forum en 2018, avec expo photos, un outil de sensibilisation pour parler de problèmes profonds : « Je ne suis pas une politique. La problématique est sociétale, pendant longtemps on nous qualifiait d’aidants naturels ayant une obligation alimentaire ou morale; en première ligne, on est là. Pourtant, on a le droit de faire des choix, d’être citoyens, ce qui n’est pas une évidence pour beaucoup de gens. Il faut une réelle action dans les territoires. Il n’y a pas un aidant, mais des aidants. Tout confondu, leur travail équivaut à 164 milliards d’euros, on fait économiser du budget à à notre système de santé, alors il faut nous aider ! »

Si Awa et son mari Fred ont su préserver leur couple et élever leurs enfants, ils s’inquiètent forcément pour l’avenir : « Ce qu’on voit, c’est la mort d’aidants avant leurs proches. Pour les enfants comme Yanis, avant il n’y avait pas d’établissements, ils mourraient parfois prématurément. La santé s’est améliorée, des établissements ont ouvert. » Grâce à l’une des pionnières de la reconnaissance médicale du polyhandicap, la docteure Élisabeth Zucman dont Awa a lu l’ouvrage Auprès de la personne handicapée. « Quand j’ai commencé à me plonger dans le polyhandicap, justifie Awa Camara, j’ai d’abord vu Yanis comme un enfant au-delà de son polyhandicap, pour être dans l’acceptation, en lui donnant de l’amour, une vie de famille. Quelques mois après sa naissance, ce qui a été difficile, c’était de ne pas avoir de contact visuel avec Yanis. Nous nous sommes demandé comment nous allions faire pour communiquer avec un enfant qui ne voyait pas comme d’autres. Il ne faut pas enfermer ces enfants dans une bulle. Je n’avais jamais écrit de témoignage avant celui-ci, c’était une grande difficulté de parler de mes émotions, sans trop intellectualiser. Et sans culpabiliser les parents. » Pour écrire son récit, Awa a puisé dans son tiroir à bonheurs : « C’est une métaphore de la résilience. Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. Pourquoi je ne me suis pas écroulé, pourquoi mon couple a tenu ? J’ai cherché les réponses dans mon passé. J’ai trouvé les réponses dans le vécu familial, mes parents, le tiroir à bonheurs est l’observateur qui a suivi mon parcours de résilience. » A vous d’aller ouvrir ce tiroir…

Laurent Lejard, janvier 2021.

Le tiroir à bonheurs, par Awa Camara, éditions S-Active, 14€ chez l’éditeur.

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