Les parents d’enfants et jeunes handicapés vont-ils devenir la variable d’ajustement de départements en difficultés budgétaires ? Après l’Essonne qui laisse trainer une dette de plus de 100 millions d’euros au détriment d’établissements médico-sociaux, et le Nord qui veut réduire leur budget de 10 millions, le Conseil Départemental des Côtes d’Armor vient de voter un budget 2016 réalisant 16 millions d’économies. Parmi elles pourraient figurer plus de 16.000 euros dus aux parents du jeune autiste Christophe Renaut, dont ils sont aidants familiaux puisqu’ils s’occupent de leur fils à temps plein. Cette dette résulte d’une erreur commise en 2009, dans la décision de la Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée de la Maison Départementale des Personnes Handicapées des Côtes d’Armor. Elle avait attribué à la mère du jeune homme 41 heures hebdomadaires d’aidant familial au titre de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), mais s’était trompée dans le taux horaire : elle avait appliqué le montant de base de 3,36€ sans tenir compte du fait que la maman avait totalement arrêté son activité professionnelle, ce qui figurait pourtant dans le dossier. Elle aurait donc dû attribuer le taux horaire de 5,03€.

Les époux Renaut ont remarqué que quelque chose n’allait pas lors du renouvellement de droits, cinq ans après. La CDAPH réduisait à 28,15 par semaine le nombre d’heures de PCH aidant familial, et pourtant le montant mensuel était plus élevé. Ils ont alors compris que le taux horaire appliqué pour ce renouvellement était celui qui correspondait à la renonciation de l’activité professionnelle, soit 5,48€ en 2014, et se sont rapprochés de la MDPH. Celle-ci a reconnu une erreur matérielle et, par décision du 3 novembre 2015, a rétabli rétroactivement la famille dans ses droits, ce qui entrainait un restant dû de près de 17.000€ : « La décision initiale, prise en octobre 2009 est entachée d’une erreur matérielle, peut-on lire sur le document officiel. La Commission procède donc à son retrait et lui substitue une décision plus favorable, prenant en compte le tarif de dédommagement familial. Une décision créatrice de droits peut en effet, par exception, sur décision de l’autorité administrative, être retirée au-delà de la durée des voies légales de recours (6 mois) si le bénéficiaire ou son représentant légal en fait la demande. » Ce qui est bien le cas ici. Cette décision est signée par la Présidente de la CDAPH également vice-présidente du Conseil Départemental des Côtes d’Armor, Marie-Madeleine Michel.

Sauf que deux mois après, le Conseil Départemental refuse de payer sa dette, invoquant un délai légal de recours gracieux de deux mois pour faire porter par la famille Renaut l’erreur de la collectivité territoriale : il leur appartenait de vérifier que le taux horaire était bien celui qui correspondait à leur situation, estime l’Administration. En clair, elle impute les conséquences de son erreur aux personnes qui en sont victimes ! Ce que confirme Marie-Madeleine Michel : « A l’origine, en 2009, il y a eu une erreur de la CDAPH sur le taux horaire, découverte en 2014 lors du renouvellement. Le problème, c’est qu’au moment du paiement la famille Renaut avait deux mois pour se manifester. Elle ne l’a pas fait, le paiement [du restant dû de 17.000€] est bloqué. » La présidente de la CDAPH renie de facto sa signature, au motif que « si on revient sur une décision de 2009, on crée une jurisprudence. » La position de cette conseillère départementale, dont les services semblent volontairement confondre recours gracieux contre une décision contestée et rectification d’une erreur matérielle de l’Administration, devient aussi périlleuse que son emploi du terme « jurisprudence« . Le père, Henri Renaut, a décidé de ne pas laisser faire; il a chargé un cabinet d’avocat d’agir en justice : « Nous n’avons aucune réponse du Conseil Départemental, aucun dialogue. On m’avait assuré à la MDPH que le nécessaire serait fait, j’ai le sentiment qu’on nous a mené en bateau. La procédure dure quand même depuis mai 2015. »

Cette péripétie s’ajoute à bien d’autres que la famille a vécues et sur lesquelles Henri Renaut ne tient pas à revenir. Les troubles du spectre autistiques de Christophe n’ont été diagnostiqués qu’en 2008, à l’âge de 19 ans, par l’hôpital de Brest: « Les psy nous disaient qu’il faisait un blocage, que sa maman était responsable. On nous parlait en 2002 de dysharmonie évolutive. Pendant toutes ces années, sa maman a été détruite par les thérapeutes, l’une d’elle lui disait qu’elle était destructrice ! On faisait confiance aux médecins, on ne pouvait pas imaginer être dupés. » Justement, en 2002, les parents demandent à reprendre leur fils à la maison pour se charger de son éducation parce qu’ils constataient que Christophe n’évoluait pas en Institut Médico-Educatif. Subitement, la Commission Départementale de l’Education Spéciale alors compétente a estimé l’invalidité de l’enfant à moins de 50%, le laissant avec ses parents sans aide ni soutien. Ce n’est qu’à l’âge 20 ans qu’il s’est retrouvé dans le « circuit handicap », après avoir été diagnostiqué : la CDAPH l’a estimé invalide à 80%, lui a attribué l’Allocation aux Adultes Handicapés et la PCH aidant familial pour sa mère. Mais la famille sait que rien n’est acquis : « On craint le pire pour l’avenir, conclut Henri Renaut. C’est inquiétant, surtout pour les parents qui ne peuvent pas se battre. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2016.

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