Parmi tous les ouvrages récemment parus autour de la thématique du handicap, Un parfum de victoire est celui qu’il faut lire et faire lire ! En 140 pages (avec version sonore intégrale) et neuf vidéos écrites et réalisées par un groupe de journalistes bénévoles ou pigistes d’Histoires ordinaires basés à Rennes, vous aurez un large aperçu de la diversité de l’handiparentalité d’hier et d’aujourd’hui. Une parentalité racontée par ceux qui la vivent, dans une grande franchise, pour dire leur réalité de mamans et de papas confrontés à leur petit bout d’chou. Ils évoquent leur désir d’enfant, les difficultés rencontrées pour l’assouvir puis l’assumer, avec ou contre l’environnement familial et médical. Ces témoignages font la force et l’intérêt d’un livre qui apporte également beaucoup d’informations pratiques, explique les stratégies de contournement des handicaps, présente les quelques actions mises en place par des professionnels.
« C’est le résultat de ma rencontre avec Magali, une maman aveugle, au Centre d’Information sur le Droit des Femmes, raconte Marie-Anne Divet, corédactrice et coordinatrice de l’ouvrage. On a beaucoup discuté, et Magali a entendu parler du Service de guidance périnatale et parentale des personnes en situation de handicap [SAPPH]. Elle m’a dit qu’il fallait que j’y aille. Ses deux puéricultrices [Edith Toueille et Martine Vermillard] ont, en 1987, reçu une maman aveugle et ont conçu pour elle et celles qui ont suivi des trucs et astuces, des groupes de paroles, etc. J’ai trouvé ça super, on a cherché à Rennes l’équivalent, rassemblé des parents lors de la journée des femmes en 2013. Là on a rencontré les tabous de la parentalité des personnes handicapées. »
C’est à ce moment que le groupe et maison d’édition Histoires ordinaires a joué pleinement son rôle : son but est de publier des portraits de personnes pas si ordinaires, en le faisant façon de dire « on se décourage pas ». « Sur ce principe, poursuit Marie-Anne Divet, on est une petite équipe de rédacteurs bénévoles et jeunes pigistes rémunérés, dont quelques-uns ont participé au livre : qui peut mieux parler du désir d’enfant et de parentalité que des personnes handicapées ? C’est vraiment un parfum de victoire ! La photo de couverture correspond à cela, avec l’artiste anglaise Alison Lapper qui peint à la bouche et à côté d’elle son fils, Parys, qui peint avec la main et la bouche. Il est à ‘+ 2’ parce qu’il apprend de deux manières différentes. Le déclic, c’est ce droit à choisir sa vie, d’avoir ou pas un enfant quel que soit le handicap. Entrer dans du questionnement, des pistes ouvertes. »
Au fil des témoignages, le lecteur connaîtra le parcours parental et militant de Richard Rodriguez, 60 ans, infirme moteur cérébral : comment séduire les filles, rencontrer l’amour, devenir père au début des années 1980. Cela au milieu de la construction semée d’obstacles et refus de son parcours professionnel, sur fond de discriminations inavouées et de luttes émancipatrices.
Sur le DVD, Fatima raconte la difficile acceptation de son bébé, pendant la semaine suivant la naissance, marquée qu’elle était par une grossesse plus que difficile du fait de son infirmité motrice cérébrale : « J’ai attendu pendant huit mois, et là je reçois rien, je n’aime pas cet enfant. La puéricultrice m’a expliqué que pendant huit mois j’ai souffert physiquement, je ne dormais pas la nuit ni la journée. Du coup elle m’a dit que je lui en voulais. » Avec le soutien de son mari et d’Edith Thoueille, Fatima a commencé à approcher son bébé, à se l’approprier, à se laisser séduire par lui : « Maintenant, je ne peux pas sortir s’il n’est pas avec moi. »
On découvre également comment Magali, aveugle, et son mari Romuald, malvoyant, s’occupent de leur fille Clara, d’abord dans les premiers mois puis lors du passage en crèche et enfin lors de son entrée à l’école. Magali explique son désir d’enfant, soutenue par sa belle-soeur qui l’a aidée à vaincre les réticences et les bâtons dans les roues : « C’est souvent mieux que les autres qu’il faut qu’on soit. Si on n’est pas mieux, on va être jugé. » Elle estime que, tout bébé, Clara avait intégré le handicap visuel de ses parents : « Je pense qu’elle a d’autres points de repères qu’un autre bébé n’a pas. Elle s’exprime avec son regard, ses yeux et tout, mais je pense qu’en plus il y a le son. Elle gazouille peut-être plus vite que les autres. Et avec le jeu des mains, elle touche beaucoup les objets aussi. »
Alternant récits de parents et de professionnels de l’handiparentalité, l’ouvrage est passionnant et rempli d’optimisme réaliste: « On a voulu que le livre soit pour tout public, pour toucher le maximum de gens, conclut Marie-Anne Divet. Cela concerne les jeunes gens, l’environnement familial parfois peu encourageant, les professionnels qui veulent avancer, les enseignants qui ne savent pas aborder les parents handicapés. Ce livre-là est fait pour rassurer. » Souhaitons-lui une belle diffusion.
Laurent Lejard, janvier 2015.