Fatoumata Diaraye Diallo, non-voyante âgée de 22 ans, doit passer pour la première fois, au mois de juin prochain, le Brevet d’études du premier cycle (BEPC). Elle suit les cours avec cinq autres malvoyants au complexe scolaire privé « La Source », à Conakry. Ces élèves ne sont pas tous dans la même classe. Un établissement somme toute ordinaire mais dont la particularité réside dans le fait qu’il est quasiment le seul à créer un minimum de conditions spécifiques permettant la scolarisation des malvoyants. Grâce à un partenariat entre l’établissement et l’ONG Guinée-Solidarité, Ahmadou Diallo, le frère de Diaraye, ainsi que les parents de tous les autres malvoyants, ne paient pas de frais de scolarité. Un système de parrainage permet que chaque élève pallie ce souci. « Une chance sans laquelle ma sœur n’aurait pas pu suivre les cours dans cette école parce que je n’aurais certainement pas pu mobiliser l’argent nécessaire », reconnait Ahmadou Diallo. N’empêche, même si Diaraye tente désespérément de relativiser l’inquiétude de son frère en confiant qu’à « la sortie, il y a toujours des amis qui s’auto-désignent ou sont désignés par le surveillant général pour nous faire traverser la route et nous aider à trouver un véhicule », ce dernier tient néanmoins à préciser : « Quand Diaraye part pour aller à l’école, jusqu’à son retour, à chaque fois que j’entends parler d’un accident, je pense tout de suite à elle et j’en souffre… »

Pour sa part, Illiassou Diaouné pense être de celles qui auraient raison de dire que le sort n’a pas été tendre. Contrainte de partager son conjoint avec sa coépouse, elle a également dû affronter le handicap de deux de ses enfants, Mamadou Issa et Abdoulaye Baldé, l’ainé et le cadet, tous deux non-voyants. Elle s’est battue pour que tous les deux soient scolarisés, et c’est avec une certaine fierté qu’elle évoque ces années pendant lesquelles elle a dû consentir d’énormes sacrifices, avant qu’ils ne décrochent le Certificat d’Etudes primaires (CEP), leur donnant accès au collège. « Pendant ces six années, chaque matin avant de me rendre au marché, je les déposais au centre Sogué, et quand il était midi, j’allais obligatoirement les chercher, malgré la dureté des choses », rappelle-t-elle.

Le centre Sogué est le seul établissement d’enseignement spécialisé qui soit relativement équipé pour la formation des victimes du handicap de la vue. Se limitant uniquement à l’élémentaire et accueillant actuellement 45 élèves, il reprend seulement cette année après deux ans de suspension due à l’absence d’un moyen de transport pour les enfants. Une insuffisance que les nouvelles autorités ont pu pallier, en octroyant un tout nouveau bus à l’établissement.

Désormais, il n’est plus question de parcourir les quelques cinq kilomètres qui séparent le domicile familial du centre Sogué, logé dans la cité de Solidarité, située dans le quartier Taouyah. Mais la famille a été confrontée au choix de l’établissement devant accueillir Mamadou Issa, et susceptible de lui créer un environnement favorable à la compréhension et à l’acquisition des cours. Conditions qui ne peuvent être satisfaites par un établissement public où l’effectif est toujours pléthorique, ce qui ne favorise pas la concentration des élèves mal et non-voyants. Le collège privé restait l’unique solution, ce qui exigeait encore de l’argent puisque les cours sont payants. Illiassou Diaouné explique : « c’est pour cela que je fais mon petit commerce et que je cherche l’argent, sans quoi, je suis morte ! Il faut faire acquérir à Mamadou Issa et à son frère les connaissances leur permettant de pouvoir se prendre en charge quand je ne serai plus là. C’est de cette façon que je pourrai espérer répondre à tous ceux qui voient dans le handicap de mes deux enfants une quelconque malédiction dont je serais frappée… » En attendant, son dévouement en faveur de la formation de ses enfants ne faiblit pas puisque, même avec l’échec de Mamadou au BEPC l’année passée, les deux viennent de reprendre les cours.

En ce qui concerne les éventuelles orientations professionnelles des Guinéens handicapés, aveugles et malvoyants en particulier, les parents, le plus souvent analphabètes, ne sont pas toujours en mesure d’imaginer et de conceptualiser ce que feront leurs enfants à l’issue de leur formation. Et quand la question est posée aux intéressés, la réponse est invariable : journaliste ! C’est comme une mode en Guinée, une espèce de mimétisme rendu possible par le succès de certains journalistes handicapés travaillant dans les médias écrits ou audiovisuels…

Aboubacar Sidi Diallo est également handicapé, des suites d’une poliomyélite. Il a perdu le plein usage de ses jambes à un âge dont il ne souvient plus. Pour la première fois depuis qu’il est entré à l’école, il y a de cela treize ans, il est contraint de redoubler une classe, ayant échoué au baccalauréat. Il est conjointement pris en charge par son père, Sadialiou Diallo, commerçant, et par son frère Mamadou Diallo, tailleur. N’ayant pas eux-mêmes été scolarisés, ils affirment tout faire pour permettre à Aboubacar Sidi d’entrer à l’université et d’achever sa formation. « Je suis certes bien portant, mais je sais combien de fois je regrette aujourd’hui, de n’avoir pas été à l’école ! » clame le frère. « C’est pourquoi quand Aboubacar Sidi a échoué l’an dernier, nous l’avons convaincu de reprendre, et qu’il bénéficiera de tout notre soutien », complète le père. Le vrai souci des deux, c’est le fait qu’Aboubacar Sidi soit obligé, aidé seulement des deux bouts de bois qui lui servent de béquilles, de parcourir la distance d’un kilomètre et demi qui sépare le quartier Sandervalia de celui d’Almamya, où se trouve son lycée. « Mais nous n’y pouvons rien ! « , se désole Mamadou Diallo.

Amara Soumah a, pour sa part, un neveu, Lansana Sanoh, qui est sourd et suit les cours à l’école des sourds-muets de Boulbinet, le quartier des pêcheurs du centre ville de la capitale guinéenne. Comme beaucoup de parents des 197 enfants inscrits à cette école spéciale, tous les midis Amara doit se trouver à l’entrée de l’école. C’est là un rituel qui, selon lui, empêche Lansana de se faire renverser par les véhicules « ou de se faire piquer ses affaires par les badauds ». Son neveu, dont la mère se trouve dans leur village, a été confié à ses soins pour être scolarisé. Cette année, il est en CM1.

Ce qu’Amara regrette, c’est le fait que Lansana n’ait aucune chance d’aller au-delà du certificat d’études primaires. Une réalité reconnue par le directeur général de l’école des sourds-muets, Mamadou Aliou Barry. Il dit s’être battu pour que son école puisse disposer des possibilités de conduire les enfants au moins jusqu’au niveau du brevet. Mais ne disposant que de seulement deux enseignants pour toutes les classes du collège et pour toutes les disciplines, il est bien contraint de limiter la formation à l’entrée en 6e : « Arrivés à ce niveau, confie-t-il, ceux dont les parents décident que le cursus doit se poursuive sont orientés au Centre de Formation Professionnel de Donka. Là, ils ont le choix entre la soudure, la menuiserie et la plomberie. » Les autres métiers que sont la mécanique et l’électricité ne seraient pas compatibles avec leur handicap. De l’avis du directeur général de l’établissement, une grande partie des élèves quittent le cursus formel après l’examen d’entrée en 6e pour pratiquer d’autres métiers informels, tels la coiffure, la couture, la menuiserie ou encore le commerce. Des perspectives restreintes et peu enthousiasmantes…


Boubacar Sanso Barry, novembre 2011.

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