Un enfant rampe sur le sol de la cuisine, on entend le son grandiloquent d’une comédie musicale à la mode. Puis on le fait tourner sur une chaise pivotante, un masque en plastique transparent sur le visage. Enfin, des adultes lui écartèlent le corps. Cet enfant, c’est « le petit Charles » qui donne son nom au film documentaire réalisé par Anne- Marie Avouac. Pourquoi torturer ainsi un bambin ? Son père nous donne la réponse : « J’ai connu une époque où je tournais en rond, je ne savais pas quoi faire de mon gosse. Je pense qu’à la fin il aura une marche normale ». Charles parle un peu lentement mais son intelligence n’est pas celle d’un enfant de huit ans, il est mûr avant l’âge, il le crie : « le programme ne me plait pas du tout ! »

La thérapie qu’on lui applique, c’est la méthode Doman « pur jus », celle de l’institut éponyme basé à Philadelphie (Pennsylvanie, U.S.A). Appelée aussi « patterning », elle consiste à stimuler intensivement le corps et l’intellect d’enfants cérébro- lésés. Elle est notamment appliquée sur des infirmes moteurs cérébraux pour tenter de leur donner la marche et la parole. Des adultes victimes d’accidents ayant entraîné des lésions au cerveau se voient parfois appliquer le patterning, telle Mylène Lopez.

Une méthode rigide. Cette méthode a été élaborée il y a près d’une cinquantaine d’années par un pédagogue américain, Glenn Doman. Elle consiste à mobiliser les membres, à stimuler l’attention, à réaliser des exercices physiques. Le travail appliqué à l’enfant peut être très intensif, plus de dix heures durant la journée, et aisément assimilable à du dressage par répétition du geste; il n’est pas confié à des professionnels mais repose sur les parents qui font généralement appel à leur famille, à des amis ou créent un réseau de bénévoles. Trente à quarante personnes peuvent ainsi se relayer durant la semaine pour réaliser les gestes prévus par la méthode. La nuit, une machine respiratoire prend parfois le relais.

Le programme est élaboré dans l’un des Instituts, les français devant se rendre en alternance tous les six mois à Philadelphie ou à Pise (Italie). Beaucoup de demandes, peu de latitude de choix de dates, souvent imposées aux parents. L’enfant est ausculté, testé pour évaluer ses progrès. Les parents, qui doivent être présents, sont critiqués et culpabilisés si l’évolution n’est pas conforme aux attentes des examinateurs. Un nouveau programme est fourni et, chaque mois, la famille doit adresser une cassette vidéo montrant la réalisation du travail prévu. L’Institut peut à tout moment modifier ou arrêter le programme, souverainement, sans que les parents aient leur mot à dire. Le matériel nécessaire est généralement fourni par l’Institut et acheté aux U.S.A par les parents. En moyenne, la méthode Doman revient chaque année à 15.000 euros hors frais de voyage. L’Institut déconseille fortement l’intégration scolaire et le recours à la chirurgie orthopédique, sous peine d’arrêt immédiat du programme.

Des centaines de familles. Lorsque l’on effectue une recherche sur Internet, on identifie de nombreuses associations de parents, constituées pour financer le coût annuel de la méthode et leurs initiatives sont volontiers relayées par les médias locaux : qui aurait le coeur de refuser son aide à un enfant polyhandicapé ? L’association Charlotte est l’une d’entre elles, créée par la famille d’une fillette née trois mois avant terme.

« Nous vendons du champagne, des gadgets lors de soirées dansantes que nous organisons, explique Marie- Thérèse Haase. Un dîner dansant nous permet presque de financer un voyage à l’Institut. L’association marche bien mais nous rencontrons, lors de nos voyages, des familles désespérées, prêtes à tout pour leur enfant; même à vendre leur maison. Dans cette méthode, le rapport à l’argent me froisse, et les parents de Charlotte ont le même sentiment. Après la naissance de leur enfant, ils ont reçu le diagnostic médical ‘lésion cérébrale’ en pleine poire, sans explications, et sont restés sans solution thérapeutique autre que d’abandonner leur fille dans un centre spécialisé ». A l’âge de trois ans, Charlotte commence un programme Doman. Sa mère arrête de travailler, son père passe à temps partiel.

C’est l’association Neuf de coeur qui a permis aux parents de Charlotte de financer leur premier voyage aux Etats- Unis. Son fondateur est célèbre : Jean- Pierre Papin, ancien footballeur professionnel, père d’une enfant infirme motrice cérébrale. La permanente de l’association, Laurence Guénard, assure que sa structure accompagne plus de 500 enfants; une partie suit la méthode Doman, les autres reçoivent d’autres thérapies de stimulation sensorielle. « 99% de ces parents sont laissés sans solution, affirme Laurence Guénard; quand le handicap est diagnostiqué, on n’est pas prêt à l’entendre, on ne retient que ce qui fait mal ». Pour elle, la méthode Doman a fait ses preuves même si elle demande du travail : « on n’a rien sans rien ». Elle ajoute également que les parents doivent savoir sortir du programme quand d’autres actes, notamment chirurgicaux, doivent être réalisés : « on n’est jamais marié avec les Instituts Doman »…

Flou médical. Le Ministère de la santé avait demandé, il y a plus de 16 ans, une évaluation médicale de la méthode Doman; sa prise en charge par la Sécurité Sociale en dépendait. L’un des auteurs du rapport « Méthode Doman Evaluation rapport ministère des affaires sociales et de l’emploi » (publié aux PUF, épuisé), le docteur Daniel Annequin s’en souvient : « le sujet est très polémique. Nous avions constaté que les résultats n’étaient pas à la hauteur de la promesse, on faisait miroiter que des trisomiques iraient à l’Université ou que des paraplégiques marcheraient. Les progrès constatés demeurent minimes et peuvent provenir du potentiel de développement des enfants ou du regard différent porté sur eux : Doman travaille sur les potentialités des enfants, pas sur leurs limitations. La stimulation intensive oblige aussi les parents à s’entourer, à gérer une petite entreprise, celle des personnes qui participent au programme de patterning. Cela créé un lien social et rompt l’isolement. Dans notre rapport, nous avons refusé la chasse aux sorcières. Nous n’avons pas davantage constaté d’actes caractérisés de maltraitance, tout en étant dubitatif sur la durée de la thérapie ».

La méthode engendre une déculpabilisation des parents auxquels on montre que le handicap de leur enfant provient d’une lésion cérébrale, qu’il n’en sont pas fautifs. Mais au fil du temps, l’espoir déçu de ne pas voir marcher son enfant peut conduire à nouveau les parents à culpabiliser, parce qu’ils n’auront pas été capables d’atteindre le résultat fixé.

Le docteur Michel Delcey, qui travaille pour l’Association des Paralysés de France, apparaît au générique du documentaire « Le petit Charles ». Pourtant, lorsqu’on l’interroge, il semble plutôt gêné: « l’A.P.F n’a pas officiellement pris position sur la méthode Doman. Elle est très discutée, mais nous n’avons pas élaboré une déclaration officielle en tant que mouvement associatif. Nous ne disposons pas d’éléments nouveaux depuis la publication du rapport de 1987. C’est une méthode qui se présente sur un plan médical et scientifique simple. Mais on ne peut l’évaluer sans examiner ce qu’elle représente pour des parents confrontés à un échec thérapeutique : il est difficile d’apporter un jugement sans condamner les parents ».

A l’écran, le professeur Gautheron, qui soigna le petit Charles à sa naissance, est pour sa part très critique: « Personne ne peut se prévaloir d’avoir la solution. Il est dangereux que des parents qui ont une vie personnelle, familiale et professionnelle, consacrent la totalité de leurs années à se transformer en thérapeutes professionnels sur l’injonction d’un pseudo scientifique qui draine des parents du monde entier et les fait payer de leur vie, de leur argent, pour un résultat qui n’est pas mesurable ».

A ses yeux, Doman a un mécanisme de secte, un ton très exclusif, sans lui pas de salut. Mais le professeur Gautheron conclut par l’aveu de son malaise : « Je regrette de n’avoir pas trouvé les mots au bon moment ». Parler, c’est aussi soigner…

Laurent Lejard, octobre 2003.

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