Émilie Tabouret, 30 ans, vit maintenant à Marseille. Elle travaille à EDF, au Centre d’Ingénierie Nucléaire du Parc en Exploitation en tant qu’ingénieur en informatique appliquée. Après un bac scientifique en 1990, suivi d’un Deug à Besançon, elle a continué ses études supérieures à Lyon jusqu’à l’obtention d’un Dess d’électrotechnique automatique.

Émilie raconte : « aveugle de naissance, j’ai suivi les cours d’une école spécialisée à Besançon jusqu’en clase de 3e, puis ceux du Lycée en intégration. Les aides à l’université commençaient à peine. Il n’y avait pas encore de terminaux braille suffisamment performants. J’ai attendu un peu et j’ai pu terminer mes études avec un terminal braille plus perfectionné… et moins bruyant. Au début, je disposais d’une aide bénévole qui me transcrivait les cours mais la 2e année, l’université de Besançon a mis en place des transcriptions destinées aux aveugles et malvoyants. A Lyon, des services semblables existaient, mais principalement pour les sujets et copies d’examens. Pour le reste, il fallait se débrouiller seul. Le plus embêtant, surtout dans les études d’électronique appliquée, ce sont les schémas. En outre, on n’a toujours pas trouvé le moyen de transcrire les signes mathématiques. Je n’ai pas rencontré de problèmes d’intégration au cours de mes études. En cours, il fallait simplement suivre le même rythme que les autres, trouver des combines pour s’adapter et récupérer autrement les informations visuelles qu’on n’a pas. C’est une bonne préparation, je pense, à la vie professionnelle, puisqu’on a l’entraînement pour trouver des adaptations là où il n’en existe pas ».

Dès la fin de ses études, Émilie entre à EDF : « en tant que cadre, j’ai fait un stage à Lyon, ce qui m’a permis de me faire connaître au sein de l’entreprise. Puis je suis passé, comme tout le monde, par le recrutement national. Il y a eu une liste de cadres postulants handicapés dans laquelle les recruteurs d’EDF Marseille m’ont choisie. Je ne pense pas qu’ils fassent plus de cadeaux que pour un postulant valide. Mon poste bénéficie d’aménagements : je travaille principalement sur plage braille, en tant que ‘brailliste’ de naissance ! Je m’occupe de l’informatique industrielle des centrales nucléaires en activité en France : modifications, améliorations, installations, rénovation des logiciels »…

Émilie a longtemps vécu à Lyon, loin de sa famille : « je ne connaissais personne lorsque j’y suis arrivée. L’installation à Marseille ne m’a donc pas posé plus de problèmes que ça, hormis les transports : à Marseille, sans voiture, c’est la mort, les gens circulent n’importe comment, grillent des feux… j’ai pu faire la différence entre les deux villes ! J’ai fait le choix de partir à fond dans le ski nordique et ça demande, tout comme mon travail chez EDF, beaucoup d’investissement personnel. Il y a aussi beaucoup de déplacements, ça me prend tout mon temps libre. L’été je vais dans le massif des Calanques avec des collègues de travail ou des amis, à Sugiton où la descente ne présente pas vraiment de difficultés pour un non- voyant. Je me déplace avec une canne blanche. Je n’ai pas de chien- guide, j’envisage éventuellement d’en avoir un plus tard : c’est un bon moyen de rencontrer des gens et d’aller se balader tout seul ».

Les projets d’Émilie : poursuivre le ski de fond au moins jusqu’aux Jeux de Turin (2006), tant que le plaisir sera là. « Mon travail, qui me passionne, m’amènera peut- être à quitter Marseille. J’ai eu la chance de faire beaucoup de choses, je crois que j’aimerais m’investir dans les associations pour venir en aide aux non- voyants. Venir en renfort pour essayer de faire bouger les choses. On est tellement habitué à rien voir qu’on s’adapte et qu’on finit par ne plus savoir quoi demander en premier ! »

Laurent Lejard, mars 2002.

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