Âgée de 34 ans, Charlotte Puiseux vit en couple près du Mont-Saint-Michel, dans la Manche. Elle est maman d’un enfant de 4 ans et demi, maman-relais de l’association Handiparentalité. Née avec un amyotrophie spinale de type 2, maladie très invalidante qui la paralyse, elle apporte son expérience à d’autres femmes qui veulent devenir mère. Psychologue clinicienne, elle s’était d’abord orienté vers des études littéraires en classe préparatoire, puis philosophiques. « A l’époque, je n’avais pas de projet professionnel particulier et j’ai suivi mes goûts personnels. Après un mastère de philosophie, je me suis posé la question d’écrire une thèse. Mais j’ai été rattrapée par les réalités professionnelles : qu’est-ce que j’allais faire ? ». Et elle s’est orientée vers la psychologie, en passant un mastère, puis envisageant une thèse comme une continuité de son activité militante. « Je ne suis pas sûre que je me serais engagée dans l’écriture d’une thèse en philosophie politique si je n’avais pas porté les question militantes liées au validisme, au crip, etc. J’ai développé mon travail autour des luttes des personnes handicapées. » Elle est proche du Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE), membre du collectif Les Dévalideuses, et elle est également engagée en politique au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).

De l’anti-validisme…

Charlotte Puiseux développe un concept original, l’handinationalisme : « Il sert à identifier le processus à l’oeuvre dans les nations occidentales pour mettre en avant la réussite sociale de certains citoyens ou citoyennes handicapés, renvoyant ainsi d’elles-mêmes l’image de nations tolérantes. Cette politique de l’exceptionnalisme renforce en réalité le système validiste puisque ces citoyens handicapés ne sont glorifiés que parce qu’ils arrivent à se rapprocher de la validité, et met davantage à la marge la grande majorité des personnes handicapées qui ne se retrouvent pas dans cette vision renvoyée par la Nation. C’est une critique d’une pseudo intégration qui vante le côté super héros ou héroïne, repose sur des exploits qui semblent impressionnants mais utilise toujours un regard validiste parce que ces héros arrivent à se rapprocher des capacités des valides. Du coup, on promeut ces héros comme des exemples, comme ce que doivent être les personnes handicapées, alors qu’en fait ils sont des exceptions. » Une critique qui ne concerne pas que les handisportifs : « Ça concerne aussi les personnes qui ont une réussite sociale très impressionnante, dans une entreprise par exemple. Ça reste très exceptionnel parce qu’on sait que les personnes handicapées font partie des populations les plus précaires. » Pourtant, de nombreuses personnes handicapées qui ont « réussi » professionnellement ou financièrement ne s’en vantent pas pour autant, ne communiquent pas et n’émergent pas de la masse de la population : à cet égard, la France ne fonctionne pas comme les pays anglo-saxons. « Certaines personnes peuvent plus ou moins cacher leur handicap. Je pense aussi que le fait de ne pas vouloir mettre en avant son handicap même quand il est perceptible visuellement, c’est parce qu’il n’est pas forcément bien perçu socialement. » Mise en valeur chez les uns, stigmatisante pour les autres, la visibilité des personnes handicapées semblerait pétrie de contradictions. Il n’existerait donc pas de « fierté handi » comme il existe une fierté gay ? « C’est un peu une clé, cette question de fierté. En France, on en est aux prémisses, et encore ! Dans les pays anglo-saxons, elle est plus développée. »

… à l’anticapitalisme

« Pour moi, le capitalisme est créateur de handicaps. La compétitivité dans la production met les corps à rude épreuve, fait travailler dans des conditions de santé difficiles, également au niveau psychique. Le capitalisme est générateur de beaucoup de handicaps physiques ou psychiques et il exclut d’emblée les personnes handicapées de naissance du monde du travail parce qu’elles ne sont pas assez productives. C’est un élément fort de stigmatisation des personnes handicapées. » Pourtant, dans les économies dirigistes qui sont encore dans le giron de partis communistes (Chine, Vietnam, Cuba, etc.), la situation des personnes handicapées n’est pas plus favorable, elles demeurent marginalisées, masquées, survivent grâce à la charité et au saupoudrage de programmes sociaux étatiques. Quelle est pour Charlotte Puiseux l’alternative à la société capitaliste qui oppresse les personnes handicapées ? « Je suis militante anti-capitaliste depuis une quinzaine d’années, c’est par cela que j’ai commencé mon parcours militant. J’ai forgé ma culture militante au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste, y compris sur les questions de handicap. Oui, le capitalisme est néfaste pour tout le monde. Il y a des alternatives à trouver, beaucoup de choses à inventer. Je ne vais pas proposer des choses toutes faites. » Visiblement, la pensée trotskiste française est aussi désemparée que la pensée communiste, toujours en recherche d’un projet de société depuis la chute du bloc soviétique et des pays de l’est européen au début des années 1990. Mais en l’absence de projets alternatifs rapidement déployables, quelles seraient les actions à mettre en place pour peser sur la condition des personnes handicapées et la faire évoluer ? « Je vais me cantonner à la France. Déjà, régler toutes les questions de la vie autonome parce qu’il reste beaucoup à faire, et que la France s’appuie sur les institutions spécialisées en cherchant à les améliorer et pas à les fermer. Au lieu d’investir économiquement, de trouver des solutions politiques en faveur du mouvement pour la vie autonome, on préfère améliorer les institutions et c’est très néfaste pour les personnes handicapées. »

Sauf que le Gouvernement semble s’orienter vers la désinstitutionalisation prônée par l’Organisation des Nations-Unies en promouvant l’habitat inclusif ou partagé. « Je n’ai pas une grande confiance dans les gouvernants actuels, et particulièrement envers Sophie Cluzel. Je ne sais pas ce qu’elle entend par habitat partagé. Il est question de mettre en commun des aides humaines, regrouper des personnes handicapées dans un même lieu avec des aides partagées, en quoi ça se différencie d’un établissement spécialisé ? Ce n’est pas ce que revendique le mouvement pour la vie autonome, il demande l’assistance personnelle, des auxiliaires de vie qui répondent réellement aux besoins des personnes, qui aient des centres d’intérêts communs parce qu’ils accompagnent dans les loisirs, la vie quotidienne, en privilégiant le lien, et pas faire partie d’une équipe qui s’occupe à tour de rôle de 15 à 20 personnes handicapées. » Si Charlotte Puiseux apprécie la création depuis janvier dernier d’une aide forfaire de Prestation de Compensation du Handicap pour les parents handicapés élevant un enfant de moins de 7 ans, elle demeure insatisfaite : « Il y a eu une petite brèche avec la création de cette aide à la parentalité. Ça marque une reconnaissance, même si elle n’est pas encore à la hauteur des besoins de certains parents. Il y a encore des combats à mener sur ce sujet. La PCH reste une question essentielle, elle est encore incomplète. Elle ne prend pas en compte le ménage, l’entretien du logement du bénéficiaire handicapé. » Elle pense également aux personnes handicapées psychiques qui sont actuellement écartées de la Prestation de Compensation du Handicap, alors qu’elles ont besoin d’aides humaines pour les stimuler et aider au quotidien. Des combats « pour », et pas seulement « contre »…

Laurent Lejard, février 2021.

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