Question : Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir comédienne ?

Déborah Arvers : 
C’est complètement indépendant du handicap. Depuis toute petite j’ai eu envie de faire du théâtre; au départ en regardant simplement des humoristes à la télévision et en ne me rendant pas trop compte de ce qu’était le métier de comédien. Mais je voulais absolument faire ça, et j’ai commencé le théâtre au lycée, en faisant un bac littéraire. Et j’ai poursuivi ma route dans des écoles de théâtre. Aujourd’hui, à l’âge adulte je m’aperçois que le théâtre est aussi un moyen d’ouverture vers le monde extérieur.

Question : Pourquoi cette ouverture : c’est lié à votre handicap ?

Déborah Arvers : Peut-être inconsciemment. Ce qui me plaisait dans le théâtre, quand j’étais toute jeune, c’est que j’avais l’impression de faire rire des gens, de donner un peu de bonheur aux autres. Ensuite, en commençant à me former, et surtout depuis quatre ans à en faire mon métier, je me rends compte que l’on peut véhiculer des messages d’ouverture, de tolérance, et cela m’intéresse d’allier l’artistique au social.

Question : Vous êtes née handicapée ou vous l’êtes devenue ?

Déborah Arvers : Je suis née prématurée, à six mois et demi, handicapée. Je marche avec des béquilles depuis l’école primaire, avant j’utilisais des cannes tripodes. J’utilise aussi un fauteuil roulant en intérieur, et à l’extérieur quand je suis avec des gens qui peuvent le pousser parce que je suis moins douée en fauteuil, mais il me permet de me reposer. Je n’ai pas trop de problèmes d’autonomie, si ce n’est que mon handicap m’empêche de conduire une voiture. Hormis une aide-ménagère une fois par semaine, j’arrive à me débrouiller pour la vie courante. Je vis à Arras, dans le Pas-de-Calais. J’y ai débarqué une première fois il y a onze ans, pour étudier à l’université et ma première véritable école de théâtre, et je me suis pris d’amour pour cette région au-delà des clichés qui sont parfois véhiculés. J’ai vécu quelques années en région parisienne pour suivre les cours d’une autre école, mais la région Nord-Pas-de-Calais me manquait, je m’y suis réinstallée il y a quatre ans.

Question : Vous êtes comédienne et vous en vivez, c’est donc votre métier…

Déborah Arvers : Oui, c’est mon métier, j’ai créé la compagnie Au-delà du seuil il y a quatre ans. Je n’en vis pas uniquement, parce que j’ai la chance et la malchance d’être handicapée, donc il existe des aides sociales. Je vis grâce à l’allocation aux adultes handicapés et à mes salaires. Je ne suis pas intermittent du spectacle, je n’entre pas dans la case des 507 heures de travail sur dix mois, je n’ai pas encore cette chance. J’écris également, notamment le spectacle actuel de notre compagnie.

Question : Pour vous, le théâtre est un moyen d’aborder des grands sujets, des grands thèmes, ou vous avez d’autres envies ?

Déborah Arvers : Mon envie pour une prochaine création théâtrale serait que le support ne soit plus un texte mais que l’on parte des témoignages des gens et qu’on puisse porter la parole de ceux auxquels justement on ne donne pas suffisamment la parole, que l’on n’écoute pas, qui se sentent en marge, en difficulté, ou qui n’osent pas s’exprimer. C’est une idée qui m’est venue au travers de nombreux engagements, ce serait intéressant d’ouvrir un espace de parole, même si à la fin ce serait une forme avec des comédiens.

Question : Vous parvenez, avec votre compagnie, à entretenir des relations avec d’autres troupes de la région ?

Déborah Arvers : Ça se fait petit à petit, parce que cela prend du temps. Comme je le dis en faisant le parallèle avec une entreprise, il faut se constituer un réseau qui s’élargit progressivement. Pour ce qui est du premier spectacle, on a eu la chance de le jouer à Lille, puis à Paris dans un petit festival. Le spectacle « Ma vie est un sketch » entame sa deuxième saison, on l’a repris depuis fin septembre avec des représentations dans des théâtres et des établissements scolaires, ce sera la première fois que la compagnie Au-delà du seuil jouera devant des élèves. Je travaille aussi avec d’autres compagnies, dont le groupe Teknè pour des interventions dans des collèges. Dans l’un deux, il avait été proposé aux élèves de rencontrer au cours de l’année plusieurs personnes handicapées; un garçon a dit : « c’est la première fois qu’on nous fait rencontrer une personne handicapée qui a un métier » ! Je suppose qu’on est nombreux dans ce cas-là, mais la visibilité n’est pas toujours représentative…

Question : Quelles sont vos aspirations ?

Déborah Arvers : En tant que personne, j’ai besoin de la création, d’exprimer des choses et surtout d’être à la rencontre des gens. Je ne suis pas à l’aise derrière un bureau, j’ai besoin d’aller au contact, de créer des liens. Ça c’est sur un plan artistique, et si en plus dans ma vie personnelle je pouvais trouver le bonheur, ce serait magnifique !

Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2016.

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