Laurence Lemaître avait tout pour assumer une vie épanouie : un conjoint (Mathieu) auprès d’elle, un chien d’assistance (Bilbo), un appartement parfaitement adapté, un objectif professionnel (infographiste). Tout allait aussi bien que possible pour cette Nancéienne née il y a 34 ans avec une infirmité motrice cérébrale qui ne lui laisse qu’une mobilité très limitée dans les bras et une main. La Maison Départementale des Personnes handicapées de Meurthe-et-Moselle lui avait accordé le financement de 22 heures quotidiennes d’aide humaine; pour cela, Laurence employait son conjoint et trois autres personnes. Tout a basculé le 22 octobre 2014, jour où la Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée de la MDPH a décidé de ramener cette aide humaine à 9h56mn quotidiennes (les connaisseurs apprécieront la précision). La jeune femme a dû licencier deux de ses personnels, elle n’emploie plus que deux mi-temps et son conjoint fait le reste : tous les couples qui vivent ou ont vécu cette réalité en mesurent le poids et les conséquences.

Cette réduction n’a pas été décidée lors d’un renouvellement de droit à la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), mais à l’occasion de la demande de prise en charge d’une aide technique. Côté évaluation des besoins de compensation du handicap de Laurence, rien si ce n’est la visite à son domicile d’une envoyée de la MDPH venue lui annoncer que les heures d’aides humaines seraient réduites et que « c’était comme ça ! »

« Cela pèse sur les activités de mon conjoint, explique Laurence Lemaitre, et sur notre vie. Il doit travailler et m’aider, il est épuisé. Avant, je pouvais aller à la piscine, faire du foot-fauteuil, sortir, suivre une formation. Maintenant notre quotidien se limite à la subsistance. Je n’ai personne pour me mettre le harnais de maintien sur le fauteuil roulant, personne pour me vêtir. Je ne vis plus comme avant. »

Laurence s’est demandée si son cas était particulier et a enquêté auprès d’autres Nancéiens handicapés dépendants: « Je leur ai posé la question. Toutes les aides ménagères et la préparation de repas sont supprimés, remplacés par le portage à domicile. » Une belle économie réalisée par le Conseil Départemental au détriment de la vie autonome de personnes lourdement handicapées.

Confronté à une décision qui apparait arbitraire, le Tribunal du Contentieux de l’Incapacité (TCI) de Nancy a logiquement rétabli Laurence dans ses droits, d’autant que la MDPH présentait un dossier vide et avait même oublié de venir à l’audience pour justifier sa décision! Mais l’organisme n’a pas omis de faire appel devant la Cour Nationale de l’Incapacité et de la Tarification de l’Assurance des Accidents du Travail (CNITAAT), une procédure suspensive assortie d’un délai de près de deux ans pour obtenir que l’affaire soit jugée. Par sa décision arbitraire et sa désinvolture, la MDPH a détruit la vie et l’équilibre que Laurence et son conjoint s’étaient construits.

Avant de prendre un avocat et d’engager cette procédure, Laurence Lemaître a tenté de négocier: « J’ai écrit deux fois au président du Conseil Départemental mais il n’a pas répondu. Je me suis présentée à son cabinet pour avoir un rendez-vous avec lui, mais on m’a dit que ce n’était pas sa responsabilité. » Et pourtant, c’est bien le président du département, Mathieu Klein, qui préside la MDPH !

Face à cette inertie et au long délai de la procédure, l’avocate de Laurence, Maitre Alexandra Grévin (lire cet Editorial), a lancé une action inhabituelle : poursuivre la MDPH devant le Tribunal Correctionnel pour délaissement. Là, l’organisme a plaidé et de quelle manière, comme le relate le quotidien L’Est Républicain au lendemain de la lecture du jugement : « L’avocat de la MDPH, Maître Bruno Zillig, avait justifié ce tour de vis par le déménagement de Laurence Lemaître vers un logement adapté à son handicap. Il y avait donc […] moins besoin de l’aider. D’autant moins, avait expliqué l’avocat, que la trentenaire vit maintenant avec un compagnon qui est susceptible de l’assister au quotidien. » Effectivement, avant son déménagement Laurence vivait dans un logement d’où elle ne pouvait entrer ni sortir sans aide, et même sans possibilité de prendre une douche… Or voilà que la MDPH de Meurthe-et-Moselle tire argument de l’adaptation de sa nouvelle résidence pour amputer plus de la moitié des aides humaines, obligeant son conjoint à être auxiliaire de vie à demeure ! L’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées seraient-elles sciemment foulées aux pieds par la MDPH 54 ? La politique du Conseil Départemental consisterait-elle à les renvoyer dans la dépendance ?

Le Tribunal Correctionnel de Nancy a finalement débouté Laurence de son action pour délaissement engagée contre la Maison Départementale des Personnes Handicapées de Meurthe-et-Moselle. En droit pur, le résultat est logique mais ni cette MDPH ni le président du Conseil Départemental ne sortent grandis de cette affaire, tant ils ont repoussé les limites du cynisme. Etape suivante : la décision de la Cour nationale de l’incapacité, dans un certain nombre de mois…

Laurent Lejard, novembre 2015.

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