Alexandra Grévin, avocate spécialisée en droit du handicap

Certaines Maisons départementales des personnes handicapées ont mis en place une pratique consistant à ne pas se présenter en première instance et à relever appel du jugement du Tribunal si elles découvrent qu’il est en leur défaveur sur le plan financier.

Par exemple, il s’agit du cas d’une personne qui s’est vu diminuer, par la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées, le nombre d’heures d’aides humaines au titre de la Prestation de Compensation du Handicap, sans aucune raison médicale. En accord avec son avocat, il a été décidé de saisir le Tribunal du Contentieux de l’Incapacité (TCI). L’avocat de cette personne a rédigé des conclusions dans lesquelles tous les arguments juridiques et médicaux ont été exposés.

Le Conseil de cette personne a adressé ses conclusions au TCI, avant l’audience. Et il les a également adressé, au même moment, en raison du respect du contradictoire qui le lie, à la Maison Départementale des Personnes Handicapées. Cette administration n’a pas daigné répondre aux conclusions et n’a donc pas présenté d’observations écrites. Le jour de l’audience, cette MDPH ne s’est pas présentée. L’avocat a expliqué et défendu son argumentation devant le Tribunal qui a rendu sa décision quelques semaines après, en donnant raison à la personne en situation de handicap, renouvelant ainsi le nombre d’heures d’aides humaines initial. Et là, contre toute attente, la MDPH s’est réveillée de sa torpeur et a relevé appel de cette décision devant la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT). A ce jour, cette juridiction d’appel n’a pas encore rendu sa décision.

Cette pratique a plusieurs conséquences déplorables. D’abord, elle prive le justiciable d’un premier degré de juridiction. En effet, le justiciable, par l’intermédiaire de son Conseil, n’a pas pu répondre aux arguments et aux éventuelles pièces de la Maison départementale des personnes handicapées puisqu’il n’y en avait pas. Il ne les connaitra que devant la Juridiction d’appel, la procédure étant écrite. Par ailleurs, le délai devant la juridiction d’appel (CNITAAT) est de l’ordre de deux ans : cela signifie que, pendant cette période, le justiciable en situation de handicap ne dispose pas de moyens de compensation à la hauteur de ses besoins. En clair, il n’a pas assez d’aides de vie : juridiquement, tant que la décision de la CNITAAT n’a pas été rendue, celle du TCI ne s’applique pas. Seule la décision de diminution du nombre d’heures d’aides humaines prise par la Commission des droits et de l’autonomie s’applique

Cette situation n’est pas un cas isolé puisque depuis le début de l’année 2015, au minimum trois MDPH ont procédé de la même façon et pour d’autres prestations sociales (deux affaires concernent la prestation de compensation pour un adulte et une autre l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé).

Ces pratiques ne sont pas admissibles sur le plan humain puisque pendant toute la période d’appel, la personne en situation de handicap ne voit pas ses besoins compensés à leur juste valeur. De nombreux mois s’écoulent sans que la personne puisse avoir l’aide dont elle a besoin. Pour l’une de ces situations, il a été décidé de porter plainte contre la MDPH par le biais d’une citation devant le Tribunal Correctionnel pour infraction de délaissement d’une personne vulnérable. La justice tranchera cette affaire sous peu…

Alexandra Grévin, avocate au Barreau de Paris, octobre 2015.

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