C’est la chronique d’une mort évitable. On apprenait, le 19 août dernier, le décès d’un homme de 46 ans, connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, dans un lit où il était filmé pour une diffusion en direct sur une chaîne australienne de streaming, dans un appartement des environs de Nice. Depuis des jours il y subissait des sévices infligés par deux co-streamers dominateurs afin de gagner de l’argent donné par les abonnés à leur chaîne, supprimée depuis, Lokal. Le principe : les voyeurs envoient des messages et paient pour que le futur défunt et un compagnon handicapé mental sous curatelle reçoivent tel coup, tel mauvais traitement, telle humiliation. Le tout au vu et au su des autorités qui sont restées inactives.

Au-delà de cette affaire, c’est l’ensemble de l’écosystème des plateformes de streaming qui se retrouve sur la sellette : on peut y faire n’importe quoi et le diffuser à des milliers de voyeurs sadiques sans rien risquer. Même après qu’un quotidien aussi connu et réputé pour le sérieux de ses enquêtes, Médiapart, eut dénoncé en décembre 2024 les faits qui se sont poursuivis pendant huit mois jusqu’au décès de Jean Pormanove, la chaîne Lokal a pu poursuivre son activité lucrative. Si la justice s’est immédiatement saisie de l’affaire, les deux souffre-douleur auditionnés en janvier dernier ont affirmé consentir aux traitements scénarisés qui leur étaient infligés, et comme des adultes ont parfaitement le droit de se faire volontairement maltraiter, aucune poursuite n’était alors possible.

Restait la diffusion publique sur le web de ces traitements dégradants, activité qui n’est pas permise par notre législation pourvu qu’elle soit appliquée, et voilà la faille : Médiapart a informé l’autorité de régulation Arcom qui s’est déclarée incompétente, la plateforme de diffusion n’ayant pas de représentant sur le territoire français ou de l’Union Européenne, en infraction avec la législation européenne. On n’est pas surpris par cette réponse, l’Arcom ayant beaucoup à faire et peu de moyens (lire cette interview au sujet de l’accessibilité numérique), cela faisait un problème en moins. Médiapart avait également alerté la ministre chargée du Numérique, Clara Chappaz, sans réaction de sa part en décembre dernier. Et la voici qui, dès le décès de Jean Pormanove, s’insurge sur X… alors qu’elle n’avait précédemment rien fait, et ose l’avouer : « J’ai saisi l’Arcom et effectué un signalement sur Pharos [portail de signalement des contenus illicites]. J’ai également contacté les responsables de la plateforme pour obtenir des explications », a-t-elle tweeté le 19 août. Sauf qu’elle ne l’a pas fait ! C’est ce qu’on découvre à la lecture d’un communiqué de la plateforme australienne publié dix jours plus tard : « Nous sommes déçus d’apprendre que les médias ont été informés des démarches de la ministre avant [nous]. Nous coopérons pleinement avec les autorités françaises depuis des mois. Nous n’avons jamais reçu de demande de suppression de contenu ou de suspension de comptes que nous aurions refusée […]. Nous n’avons jamais essayé et n’essaierons jamais de nous soustraire à nos obligations réglementaires ou de les nier. »

Afficher sa préoccupation après un drame est une conduite habituelle chez nos politiciens et décideurs macronistes. Ne rien faire l’est également.

Laurent Lejard, septembre 2025.

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