La 1ere Chambre Civile de la Cour de cassation a rendu le 12 juin 2025 un arrêt très important, et a jugé de manière claire et précise qu’une personne atteinte d’une altération corporelle même extrême ne peut faire l’objet d’une mesure de protection que lorsque ses facultés mentales sont également altérées. Enfin un arrêt de bon sens conforme en tous points à la loi, mais qui hélas, dans la pratique judiciaire, n’est pas toujours respecté.
Cette décision concerne essentiellement les personnes atteintes d’un handicap médullaire, et tout particulièrement les personnes tétraplégiques assistées d’un matériel et d’une tierce personne pour exprimer leur volonté, ou pas. En l’espèce, une personne tétraplégique sollicitait la mainlevée de sa curatelle renforcée et a été déboutée par le juge du contentieux à la protection statuant en qualité de juge des tutelles, au motif que celle-ci ne pouvait communiquer qu’avec l’assistance d’un ordinateur après avoir été, au préalable, équipée d’un casque muni d’une tige métallique lui permettant d’écrire sur le clavier. Cependant le juge avait constaté, lors de son audition, qu’elle ne présentait pas d’altération de ses facultés mentales. En effet, l’assistance d’une personne tierce pour la mise en place de l’équipement informatique n’empêchait nullement celle-ci d’exprimer sa volonté. L’équipement informatique et l’assistance d’une aide ne sont qu’un outil pour remédier aux difficultés de son handicap physique et nullement pour remplacer ses facultés cognitives, qui étaient intactes.
Par conséquent, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel pour violation des articles 425 alinéa 1er et 440 alinéa 1er du Code Civil et en a ainsi jugé : « Pour rejeter la demande de mainlevée de la mesure curatelle renforcée concernant Mme (X) et maintenir cette mesure, l’arrêt retient que celle-ci ne présente pas d’altération de ses facultés mentales, ses capacités de raisonnement, de jugement et de compréhension étant efficientes, de même que sa capacité d’anticipation et sa capacité de dire non, mais que l’altération de ses facultés corporelles est de nature à empêcher l’expression de sa volonté, dès lors que cette expression requiert l’installation préalable d’un matériel informatique par une tierce personne. En statuant ainsi, après avoir relevé que dotée, fût-ce par un tiers, d’un matériel adéquat, Mme (X) pouvait exprimer sa volonté, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. »
C’est un arrêt remarquable, d’une légalité et d’une clarté exceptionnelles. Enfin, il a été jugé par la Cour de cassation que l’atteinte même gravissime des facultés corporelles ne doit pas être confondue avec l’altération des facultés mentales sous prétexte de l’intervention d’un tiers, et dès lors que l’expression de la volonté subsiste, la mesure de protection ne doit pas être ordonnée. Seule l’altération des facultés mentales doit donner lieu à la mise en place d’une mesure de protection. Dés lorsque l’altération corporelle n’altère pas « l’expression de la volonté », la mesure de protection ne peut être mise en place par le juge des tutelles.
Cet arrêt est capital pour le monde judiciaire, mais il l’est aussi pour la reconnaissance de la personne atteinte d’un handicap corporel grave, pour que soient respectées son entité, sa personnalité, sa vie, et qu’elle ne soit pas diminuée injustement par la justice. Il faut aussi saluer un arrêt récent rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 mars 2024 concernant la mainlevée d’une curatelle renforcée à l’encontre d’une personne atteinte d’une cécité totale sans altération des facultés mentales.
Pour autant, dans la pratique judiciaire, j’ai eu hélas à connaître des décisions ordonnant une mesure de protection, en général de type curatelle, à l’encontre d’une personne tétraplégique même non équipée d’un matériel avec l’assistance d’un tiers pour exprimer sa volonté. A titre d’exemple, notre cabinet a obtenu récemment la mainlevée de deux mesures de protection de type curatelle et habilitation familiale qui concernaient deux personnes tétraplégiques qui ne présentaient aucune altération des facultés mentales et n’avaient aucun matériel, pas non plus l’aide d’un tiers pour les aider à s’exprimer. S’ajoute la mainlevée d’une curatelle pour une autre personne tétraplégique qui avait appris à signer avec un stylo dans sa bouche, donc avec l’assistance d’un tiers pour la mise en place du stylo, mais qui n’avait aucune altération de ses facultés cognitives. Heureusement, nous avons pu obtenir satisfaction et la mainlevée dans ces trois affaires des mesures de protection.
Cette confusion entre altération corporelle et altération mentale dans l’expression de la volonté vient de la méconnaissance du monde du handicap, et aussi de notre mode de société dans laquelle les personnes sont de plus en plus assistées souvent contre leur propre volonté et pour se couvrir au niveau des responsabilités. Il est inadmissible, sous couvert d’une mesure de protection judiciaire, de diminuer une personne atteinte de difficultés corporelles et de lui retirer en plus sa liberté de penser et d’agir, alors que ses facultés mentales ne sont pas altérées.
Cette jurisprudence va permettre d’éviter des injustices lourdes de conséquences. Bravo à la Première Chambre Civile de la Cour de cassation !
Catherine Meimon Nisenbaum, Société Meimon Nisenbaum Avocats, août 2025.