Voici deux frères, l’un metteur en scène de théâtre, Arnaud, et l’autre, Stéphane, exerçant comme masseur-kinésithérapeute depuis qu’il a dû arrêter le football pro puis la vente de lunettes. C’est à partir du parcours de ce dernier qu’Arnaud Vrech a conçu Footballeur, représenté jusqu’au 25 mai au Théâtre de la Tempête (Cartoucherie de Vincennes à Paris 12e) puis en tournée l’an prochain. « C’est un projet qui date de 2019. Il m’intéressait de raconter cette histoire parce qu’elle est originale, de quelqu’un qui part pour épouser une carrière de footballeur professionnel et ne peut pas parce qu’on lui découvre une maladie. Ce n’est pas juste le traitement du handicap, mais le destin cassé par quelque chose qui nous est supérieur, qu’on ne peut pas contrôler. Je voyais deux dimensions avec un fort potentiel théâtral : la perte de la vue et le sport, comment on peut s’en emparer au théâtre ? » Il a proposé ce sujet à un auteur dramatique, Simon Diard qui l’a écrit et publié aux éditions Petits Pièges.
Stéphane a quitté le foyer familial dès ses 14 ans pour se former, Arnaud avait tout juste 12 ans. « La spécificité d’une carrière professionnelle, poursuit Arnaud Vrech, c’est de partir très tôt de chez soi. C’est très chronophage, on s’est rarement vu avec mon frère, c’est pour ça que l’annonce du diagnostic a été brutale. Toute une vie pleine, une vie de passion doit s’arrêter d’un coup. Tout est à réinventer. Dans la fiction, c’est grâce à cette maladie que les deux frères se parlent vraiment. » Arnaud Vrech installe l’action dans un vestiaire de stade, et a soigné l’ambiance : « On montre, par le son, ce qui se passe dehors et ça donne une temporalité, un repère spatial. Dès le début du processus créatif, il était intéressant de créer un spectacle à destination des publics mal et non-voyants, la place du son a toute son importance. »
Pour restituer une ambiance musicale façon bandas, Arnaud Vrech a cherché des musiciens aveugles ou malvoyants et engagé Flavio Mendes, 20 ans, ancien élève malvoyant de l’Institut National des Jeunes Aveugles où il a appris la musique et adopté la trompette. « Après le bac, je savais que je voulais devenir musicien, j’en ai discuté avec mon professeur à l’INJA lui-même intermittent du spectacle pour m’aider à trouver des pistes professionnelles. C’est tombé au moment où Arnaud cherchait à l’Institut des musiciens cuivres. » Flavio a sauté sur l’occasion pour le plus grand plaisir d’Arnaud : « Quand il est entré, j’ai vu cette grâce naturelle que, sur un plateau de théâtre, beaucoup de comédiens envient, une présence qui est déjà belle à regarder. Et il jouait bien de la trompette. » Le genre de prédilection de Flavio ? Le jazz, propice à l’improvisation : « L’avantage de la trompette, c’est un instrument qu’on retrouve dans tous les styles de musique. J’improvise plus que je compose, même si la composition m’intéresse. Pour le moment, je me suis peu confronté à des musiciens professionnels, mais l’INJA a un big band, Open’ Injazz, dans lequel des professionnels viennent nous aider, nous donnent des astuces. C’est le seul groupe avec lequel je joue vraiment. » Sa jeune vie est déjà évoquée dans un documentaire, La ballade de Flavio, réalisé par Marie Liesse, projeté à la Tempête le 18 mai.
Affronter l’avenir
Stéphane Vrech, bientôt 37 ans, était défenseur dans l’équipe des Chamois Niortais, (dissout en avril 2025). Cela malgré l’apparition de troubles de la vue résultant d’une rétinite pigmentaire diagnostiquée en 2009. « Ça m’a fait plaisir de voir que mon handicap a bien été retranscrit, exprime-t-il. Je suis content que mon frère puisse parler de ma situation de handicap au public. Arnaud a revisité l’histoire, j’étais en foot professionnel, sur scène il fait plutôt allusion au football amateur avec l’ambiance festive de match, sa buvette et ses grillades, etc. Il explique la rétinite pigmentaire, cette maladie dégénérative qui évolue vers la cécité, tout en exposant ma passion pour le football. »
Le champ de vision de Stéphane se réduisant progressivement, il a été contraint d’arrêter sa carrière et de se reconvertir prématurément : « J’ai obtenu un BTS en optique suite à un bac S, avec peu de débouchés à court terme. J’étais opticien jusqu’à mes 27 ans, et il devenait compliqué de travailler dans une forte ambiance lumineuse. Je me suis reconverti vers des études de kiné à Limoges, cinq ans loin de la famille. Je suis diplômé depuis 2020 et en cabinet dès le 31 août prochain. Maintenant je travaille dans une grande maison de santé avec cinq autres kinés. » Et avec une vie de famille, une compagne et trois enfants, l’éloignant ainsi du cécifoot qu’il a pratiqué avec l’équipe du Havre. Il doit également affronter la perspective de la cécité : « Mentalement, c’est pas facile à vivre. Actuellement, j’ai 6/10 de vision mais avec une réduction du champ, très réduit, une vue tubulaire, une vision de nuit nulle, une cataracte sur un oeil. C’est angoissant, quand je pense à ce que c’était il y a quinze ans, qu’est-ce que ça va être dans quinze ans ? C’est flippant… »
Laurent Lejard, mai 2025.