Les services de la Présidence de la République étaient sur le branle-bas de combat, le 22 novembre 2005 : un négociateur en salle de marché boursier (trader) menaçait d’entamer une grève de la faim à bord d’un camping-car garé le long du Palais de l’Élysée parce qu’aucun infirmier n’acceptait d’assurer des soins à son domicile ! Comment en était-on arrivé là ?

Ce trader, c’est Grégory Perrin, 33 ans, employé dans une filiale issue de la fusion du Crédit Agricole et du Lyonnais. Originaire de Lyon, ses études et son métier l’ont conduit à s’installer à Paris : « Le trading n’existe pas en régions. Il ne s’effectue que dans quelques capitales européennes depuis que les marchés boursiers sont devenus électroniques ». Un accident de moto, survenu en 1990 et qui l’a laissé tétraplégique, a tout changé dans sa vie. Il préparait un BEP électronique et ne travaillait guère au lycée : « Je n’ai pas ressenti d’aigreur après cet accident dont j’étais responsable, même si je n’ai pas perçu d’indemnisation. J’ai voulu me diriger vers le trading et j’ai repris des études, obtenant un baccalauréat, puis j’ai poursuivi à Lyon en Sciences Politiques malgré les difficultés d’accessibilité. Là, je suis tombé sur des enseignants qui ont accepté de déplacer leur cours en rez-de-chaussée. Après un DESS, en 2000, j’ai cherché un stage dans une banque, comme tous les traders. C’est une activité pointue et risquée, il m’a fallu six mois pour entrer au Crédit Lyonnais, à Paris. J’y ai effectué un premier stage de neuf mois, au terme duquel on m’a proposé un poste qui n’était pas en salle de marché; alors j’ai demandé un second stage, six mois, puis j’ai été pris. Mon handicap n’a pas eu d’impact sur mon embauche, et je n’ai pas eu besoin d’une adaptation de poste. Comme les autres, je surveille au moins cinq écrans et j’utilise un micro casque pour téléphoner. Je travaille au minimum 9 heures par jour, avec des horaires qui sont fonction du marché, parfois jusqu’à 22h30″.

Grégory Perrin ne peut effectuer certains actes de la vie de tous les jours et nécessite des soins et une surveillance quotidiennes: « Début 2005, l’infirmier libéral qui assurait mes soins à domicile, lever à 6 heures et coucher à 23 heures, m’a annoncé qu’il prenait sa retraite. Lors de son départ, en juillet, je n’avais pas trouvé de remplaçant. J’avais contacté les professionnels de mon arrondissement, puis des autres, les Mairies d’arrondissement, la Mairie de Paris, les associations, les organisations professionnelles infirmières. Aucune solution à Paris ! Même mon employeur, une grosse société, n’a pas trouvé. Aucun professionnel ne souhaite se lancer dans ce type de soins: lever, coucher, prévention des escarres, petits soins. Mais quelques-uns m’ont proposé de travailler au noir ! On m’a dit que j’avais les moyens de payer mes soins, ça a fini de me mettre en colère. Parce que par rapport à mes collègues je ne peux pas faire les mêmes choses avec le même budget. Alors j’ai constitué un dossier, destiné aux responsables politiques et à la presse, présentant deux budgets : quand je travaille, je paie des impôts et ne perçois aucune aide; si je ne travaille pas c’est l’inverse. La différence est de 30.000€ ».

En juillet 2005, Grégory Perrin est contraint de se mettre en arrêt maladie et rentre provisoirement chez ses parents, en Haute-Loire, tout en alertant la presse. Une première série d’articles n’y fait rien : « La crise s’est dénouée après la deuxième vague médiatique. J’étais chez mes parents, j’ai appelé Le Figaro le 14 novembre, en déclarant que si le 22 je n’avais pas de réponse, j’entamerai une grève de la faim devant l’Élysée. Après un article paru le 15, il n’y a pas eu de réactions. Alors j’ai préparé le voyage vers Paris. On était sur l’autoroute lorsque le téléphone a sonné, un chargé de mission de la Présidence de la République me proposait un rendez-vous immédiat avec Michel Blangy, Directeur de Cabinet du Président, et Hughes Renson, Conseiller aux Affaires Sociales. Ils ont établi le cahier des charges de mes soins quotidiens et se sont engagés à rechercher des solutions. En me laissant comprendre que c’était préférable au lancement d’une action désagréable pour tous. A cette époque, la DDASS de Paris avait soutenu la création par un médecin d’un Service de Soins Infirmiers A Domicile destiné à des situations atypiques, sortant du cadre standard. Début décembre 2005, le projet était validé, j’ai appelé l’Élysée pour leur dire que le médecin était d’accord pour ma prise en charge. Dans l’intervalle, la Présidence avait obtenu d’un service d’Hospitalisation A Domicile qu’il me prenne en charge à compter du 6 janvier 2006. Depuis, le SSIAD atypique n’est toujours pas créé : la DDASS refuse de financer les heures de travail de nuit alors qu’elle a déjà diligenté une inspection des locaux de la structure ! Six mois après, je n’ai aucune assurance que la situation de carence de soins ne se représentera pas ». En effet, l’hospitalisation à domicile est destinée aux malades, même si quelques travailleurs handicapés en bénéficient parfois, faute de solution plus adaptée et sous la forme d’un passe-droit.

« Je suis venu à Paris pour exercer mon métier, je m’y suis fait quelques amis. On m’a récemment fait monter en grade en tant que Business Manager. Je veux rester au plus près des affaires. J’ai vécu ces démêlés comme quelque chose de parfaitement illogique. Le fait de vivre à Paris amplifiait le scandale. Et quand je me suis installé, les transports spécialisés étaient désorganisés, fonctionnant à des horaires différents les uns des autres. Certains voulaient m’imposer leurs horaires en se fichant de mes obligations professionnelles. Les deux fois où j’ai été contraint d’utiliser un taxi adapté G7 Horizon, ça m’a coûté 100€ rien que pour traverser Paris »…

Une odyssée que Grégory Perrin raconte dans un blog réalisé en collaboration avec Danger Public, éditeur de son futur récit autobiographique.

Laurent Lejard, septembre 2006.

PS : Grégory Perrin est décédé à Lyon le 19 Décembre 2009 après un mois de coma, avait alors précisé sa famille.

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