Jean-Luc Héridel n’est pas encore entré dans la cinquantaine mais il a déjà un parcours bien rempli et « toujours en mouvement » comme il aime à le dire. Il est également un rescapé de l’institution : placé dès son jeune âge dans des centres fermés, il aurait dû suivre une voie toute tracée vers le foyer occupationnel. Mais non, il est marié et travaille dans ce qu’il apprécie, la radio. Et fait partager son goût pour la chanson « à texte ».

Jean-Luc est né en 1957 « avec l’étiquette Infirme Moteur Cérébral », ses parents vivaient en Région Parisienne : « Dès l’age de 4 ans, j’ai eu une vie docile et classique dans diverses Institutions spécialisées. Normalement, ma destinée était prévue et conditionnée, c’était ‘perpette’ dans des Structures à Vie ! ». Son salut est venu de l’agitation politique des années 70, l’esprit de mai 68 s’infiltrait alors dans quelques établissements par l’intermédiaire d’éducateurs davantage ouverts sur la société : « Certains, à contre courant des pratiques professionnelles de l’époque, m’ont fait prendre conscience qu’il y avait une autre vie. Je n’en veux pas à mes parents, ils suivaient une voie confortable sans connaître d’autre solution que l’institution. On ne sortait pas des centres, il y avait peu de permissions ».

La scolarité de Jean-Luc fut succincte, « elle s’est arrêtée au niveau Certificat d’Etudes ». Il fut orienté ensuite dans une classe- foyer parce qu’il était estimé incapable de travailler : « Là, on passait notre temps à lire Libération, on écoutait des disques de François Béranger, Catherine Ribeiro + Alpe, des textes pertinents qui font réfléchir ». Mais sans basculer dans l’engagement politique : « Il est difficile de se réveiller et de secouer le poids de l’institution ». Jean-Luc en est sorti progressivement en 1975 pour habiter à Sarcelles (Val d’Oise) dans un foyer- appartement : chaque résident avait sa chambre et recevait qui il voulait. Il y resta jusqu’à ses 23 ans : « Il y avait une vie sociale et de quartier animée. Je sortais, faisais des rencontres, distribuais des tracts contre les quêtes destinées au handicap. C’était une liberté sous contrôle, et à force de mettre les éducateurs face à leurs contradictions, je suis parti. Le départ a été difficile, il s’est produit après un film contestataire intitulé ‘Ames charitables s’abstenir’ [dont il ne semble pas en exister de copie vidéo N.D.L.R] et réalisé en Super 8 par Sabine Mamou, une amie qui travaillait avec Agnès Varda : il présentait des témoignages directs, spontanés et pertinents, de personnes handicapées et de leur entourage, dénonçant les conditions de vie et la politique du handicap de l’époque. Le film n’a pas plu, et j’avais une liaison avec une jeune femme, Evelyne, qui est devenue par la suite mon épouse. Qui l’aurait cru ? Même pas moi ! Bien sûr, j’avais, comme tout être humain, des désirs naturels d’amour, de tendresse, de sexualité. Mais en 1978, c’était un sujet tabou, inconcevable quand on était handicapé ». Pour les éducateurs, c’en était trop, d’autant qu’à quelques mois de l’élection présidentielle de 1981, le Mouvement des Handicapés Méchants le propose comme candidat…

« Bien sur, nous n’avions pas les moyens d’obtenir les 500 signatures. Après avoir contacté tous les candidats proches de nos idées, seule Huguette Bouchardeau (P.S.U) accepta de jouer le jeu en m’offrant un temps de parole à tous ses meetings et à toutes ses interventions médiatiques. En même temps, se créa le Journal ‘Bankalement Vôtre’ qui parut jusqu’en 1984; c’était le premier journal sur le handicap vendu en kiosque, un mensuel indépendant d’informations, de réflexions, de débats et d’expression libre, traitant toutes les situations de handicap, d’exclusion, de racisme, et du combat pour le droit à la différence sous toutes ses formes. Tous les moyens étaient bons pour se faire entendre, parfois spectaculaires, provocateurs, engagés et mêmes politisés ».

« Ce furent pour moi mes premières manifs avec le Mouvement des Handicapés Méchants, mélangées à la lutte des femmes, des taulards, des immigrés… Bref, toutes les causes communes qui combattaient contre une société d’exclusion, de discrimination, d’injustice et d’inégalité sociale. Parallèlement à ces actions militantes et revendicatives, je profitais des périodes de vacances pour partir à l’aventure avec une association de jeunes ‘post- soixante- huitards’. Une association qui n’avait rien à voir avec le milieu du handicap, ouverte à tous et en particulier aux routards, nous vivions ensemble dans un esprit communautaire, libertaire et autogestionnaire. Je vivais parmi et comme tout le monde. Dépendant physiquement, mon handicap lourd n’était plus, apparemment, un problème Médico- Pédago- Psycho- Quelque chose ! »

Avec sa compagne, Jean-Luc Héridel décide en 1981 de s’installer à Lorient (Morbihan), à l’époque ville- pilote en matière d’intégration des personnes handicapées : « Je suis arrivé au bon moment, la ville créait un service d’auxiliaires de vie ». Depuis neuf ans, le couple s’est installé dans une maison qu’il a fait construire dans la proximité. Lui anime, sur la radio locale associative M’radio (98.8), l’émission Chants Libres consacrée à la chanson pour laquelle il a interviewé ou reçu à l’antenne des artistes comme Jean Ferrat, Alain Leprest, Romain Didier, Paco Ibanez ou Juliette : « Je m’intéresse à la radio depuis longtemps. Avant la libéralisation de 1981, je participais à Radio 95, une pirate qui diffusait de temps en temps à Sarcelles, depuis des greniers, en jouant à cache- cache avec la police. Une radio se montait à Lorient au moment où je m’installais, j’ai continué à animer. Au début, je traitais des sujets de société, puis j’ai fait une autre émission sur la chanson, à partir de 1987 ». Il y a quelques semaines, il a accepté la présidence de M’radio afin de lui faire retrouver son caractère communautaire et associatif.

De son expérience de vie, Jean-Luc Héridel tire une leçon : « Même si on n’a pas un bagage universitaire, même si on ne peut pas travailler parce que c’est physiquement trop dur, on peut faire des choses. Il faut sortir de la solitude. J’ai du mal à comprendre qu’une personne handicapée puisse s’ennuyer ». Et il fait sien ce propos du chanteur Môrice Bénin : « Si tu as envie de vivre, alors, tu décourbes le dos »…

Laurent Lejard, mai 2005.

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