Développer une idée, un projet, en créant une entreprise, est une activité risquée et difficile à conduire, Jérôme Adam l’a éprouvé. Il le raconte dans un récit qui vient de paraître chez D.F.R, « Entreprendre avec sa différence ». La société Visual Friendly qu’il avait fondée en 2000 (lire ce portrait) n’aura duré que cinq ans. A-t-il lancé son business avant que le marché soit mûr ? « Trop tôt ? Ce n’est pas la seule raison, explique-t-il. On n’avait pas d’informaticiens, on sous-traitait l’activité à une société de services et d’ingénierie en informatique. Ça fonctionnait mal, on a repris l’activité dans la société, on a perdu un an. La société aurait dû être orientée ‘services’ plutôt que logiciels. Et on a longtemps attendu la loi sur l’accessibilité de l’Internet aux personnes handicapées. En 2000, on nous l’annonçait comme imminente, on pensait qu’elle boosterait notre activité et accélérerait le marché de l’accessibilité numérique. En fait, la disposition a été introduite dans la loi du 11 février 2005, et son décret d’application n’est toujours pas paru ». Le contexte économique devenu difficile du fait de l’éclatement de la « bulle » Internet a également pesé sur la viabilité de l’entreprise.

Pourtant, Jérôme Adam constate que Visual Friendly a contribué à défricher le domaine de l’accessibilité numérique : « Le discours actuel de certaines grosses entreprises est celui que nous tenions. En France, on fait davantage confiance à une grosse structure qu’à une entreprise de petite taille. Alors, on choisit des noms ronflants pour se rassurer et ne pas prendre de risques ». Il tire bien d’autres enseignements de son expérience d’entrepreneur, et la communique aux élèves de Sciences Po Paris dans le cours Vie de l’Entreprise qu’il coanime : « Outre le parcours du combattant que subit le créateur d’entreprise, les ‘castes’ et les ‘copains’ sont privilégiés; les financeurs jugent davantage la forme d’un projet que le fond. On doit remplir une grille pour rentrer dans le moule, être jugé par des gens qui ne comprennent rien au sujet qu’on leur présente. Dans ce milieu, les titres comptent beaucoup ». Ce qu’il traduit dans son livre par « le pouvoir de nuire » de certains décideurs.

Jérôme Adam n’estime pas que sa cécité ait contribué à l’échec de son entreprise : « Il fallait que mes interlocuteurs me voient pour qu’ils sachent que je suis aveugle. Ils pouvaient être surpris au premier abord, mais lors de la discussion, cet effet disparaissait, on parlait affaires. Un patron aveugle, ça pouvait devenir ensuite un sujet d’intérêt pour les autres. Par contre, les investisseurs ont pu avoir peur, redouter une difficulté à gérer, une réduction de mobilité gênant les démarches commerciales. Cela m’a poussé à déléguer et à aller à l’essentiel; en fait, la cécité est une force. J’étais convaincu, après avoir perdu la vue, que je pourrais l’oublier; je ne souffre plus de ce handicap ». Pour autant, il refuse d’être un modèle : « Il me semble préférable que d’autres entrepreneurs trouvent leur style, leurs marques, même si mon parcours les incite à oser. Chez les anglo-saxons, on peut être différent sans se faire remarquer ».

Actuellement, Jérôme Adam travaille comme consultant indépendant dans le domaine de l’accessibilité utilisant des technologies numériques; il participe à l’élaboration de produits et de services utiles aux personnes handicapées comme à tous les usagers. Et il poursuit son métier d’entrepreneur d’une manière différente : « Entreprendre, c’est s’investir, aller de l’avant ».

Laurent Lejard, mai 2006.


Entreprendre avec sa différence, par Jérôme Adam. Éditions D.F.R. (227 rue Lecocq, 33000 Bordeaux – Tél. : 05 56 96 51 41). En librairies et auprès de l’éditeur, 17€.

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