C’est le football qui a fait courir le Rémois Jérôme Adam durant l’adolescence. Une course qui a failli se terminer à cause d’une tumeur au cerveau. Elle n’emportera que sa vue, et après un passage de deux ans à l’Institut National des Jeunes aveugles de Paris, il reprend des études qui le conduiront brillamment jusqu’au diplôme de l’Hessec après celui de Sciences-Po. Durant un stage aux U.S.A, il élabore un concept destiné à améliorer l’accès de l’Internet pour les déficients visuels : dès son retour en France en août 2000, il créé, avec quelques amis issus de grandes écoles, la société Visual Friendly, chargée de développer Label Vue. « Ma volonté est de faire comprendre le handicap pour le gommer. Visual Friendly vient de l’expression américaine ‘user friendly’ [littéralement : ‘ami de l’utilisateur’ N.D.L.R], le concept vise à inclure les personnes handicapées au milieu de tout le monde ».

Un autre facteur déclenchant semble être le stage que Jérome Adam a fait au sein de L’Oréal, multinationale du cosmétique : « Je travaillais pour les produits Vichy au développement de services destinés aux aveugles. Au départ, on m’avait demandé d’élaborer un packaging comportant un marquage en braille; j’ai fait comprendre à la direction que le vrai besoin des aveugles résidait dans le conseil pour utiliser le produit qui convient et savoir l’employer sans voir. On a mis en place un serveur vocal dispensant ces conseils. Mais en fin de compte, L’Oréal s’est contenté d’en faire une opération de communication… Lors de mon séjour aux U.S.A, j’ai découvert ‘l’handicabilisme’, le marché des personnes handicapées. Les marques lorgnent sur ce marché. En France, il faut encore mobiliser l’industrie pour montrer qu’il y a des besoins réels et des gens capables d’y répondre. Tout en évitant les erreurs de communication et de positionnement des produits : on doit être attentif au phénomène du ‘refus de la perte’ qui conduit de nombreuses personnes handicapées à ne pas employer des produits conçus pour elles, et parler plutôt en termes de fonctionnalité de confort ».

« Il m’a fallu plusieurs années pour accepter ma cécité, mais le plus dur est d’accepter que les autres vous voient différent. Alors que je veux tout autant profiter de la vie, tant sur le plan privé que professionnel. Pour moi, la vraie réussite est un équilibre entre travail, vie privée et passions ».

Ancien coureur à pied, Jérome Adam pratique désormais des sports extrêmes: parachutisme, rafting… « Je recherche des sports qui stimulent les poussées d’adrénaline. Mes parents m’ont fait confiance, ils mont laissé libre de mes choix. Je continue à vivre normalement, à aller régulièrement au cinéma plutôt que de tirer un trait dessus. Je suis également supporter du club de football du Stade de Reims, qui doit aujourd’hui survivre sur les restes d’un passé prestigieux. Abonné, j’assiste à tous les matches en famille ou avec des amis. Ils me racontent l’action, je vis le match, je ressens l’ambiance. Par contre, je n’apprécie pas les critiques des supporters, je préfère rester positif et constructif, même dans le travail ».

Jérôme Adam estime que sa cécité est un atout de sa réussite professionnelle : « Je dois m’appuyer sur les autres, déléguer les tâches, dialoguer, être un chef d’orchestre au sein d’une entreprise qui compte maintenant 14 collaborateurs. Comme tout manager, je prends les décisions ». Un manager parfois énervé de travailler dans un environnement peu franc, souffrant de la concurrence de certaines associations subventionnées par des fonds publics tout en étant liées à des sociétés privées et réalisant avec elles des prestations de service onéreuses : « Elles ont un rôle important de lobbyisme et ‘d’évangélisation’ [sensibilisation et diffusion d’une idée N.D.L.R] en matière d’accessibilité de l’Internet pour les déficients visuels. Actuellement, elles prônent des standards reconnus, mais en rajoutent en permanence. Résultat, les concepteurs de sites web sont perdus et ne font rien. Nous avons, avec Visual Friendly, préféré former nos partenaires et traiter l’accessibilité en amont, dès la conception d’un site, en regardant aussi l’utilisation, ce que j’appelle l’usabilité ». Une conception de l’accessibilité qui profite à tous, au- delà du respect des besoins spécifiques des personnes handicapées. C’est bien cette intégration- là qui fait courir Jérôme Adam…

Laurent Lejard, septembre 2003.

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