Il
convient de rappeler que, pour les accidents du travail et les
maladies professionnelles, la loi fait bénéficier les salariés
d'une réparation certes automatique, mais hélas forfaitaire.
Ainsi, les victimes d'un accident du travail sont-elles moins
bien indemnisées que celles du droit commun qui bénéficient
d'une réparation intégrale de leurs préjudices. Cependant, la
loi a reconnu pour ces victimes ou leurs ayants droit une réparation
complémentaire, lorsqu'il existe une faute inexcusable à la
charge de l'employeur (personne physique ou morale), mais non
intégrale. Grâce à l'évolution de la jurisprudence, la notion
de faute inexcusable est largement entendue : elle se définit
comme une obligation de sécurité de résultat. Ainsi, en application
de l'article L.452-3
du Code de la Sécurité Sociale, l'indemnisation liée à la faute
inexcusable comprend :
- la majoration de la rente;
- la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques
et morales endurées;
- la réparation du préjudice esthétique et d'agrément;
- la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la
diminution des possibilités de promotion professionnelle;
- et en outre, pour la victime atteinte d'un taux d'incapacité
permanente de 100%, une indemnité forfaitaire égale au montant
du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.
Mais cette énumération est limitative, et de ce fait, même dans
le cadre de la faute inexcusable, les victimes d'un accident
du travail ou de maladies professionnelles sont fortement lésées.
Cette différence d'indemnisation devant la loi est anormale,
voire inconstitutionnelle. En effet, alors qu'elles sont des
victimes, les personnes concernées ne peuvent ni prétendre à
la réparation intégrale de leur dommage, ni solliciter contre
leur employeur les chefs de préjudices suivants :
- l'assistance par tierce personne, ô combien indispensable;
- l'incidence professionnelle;
- le logement adapté;
- le véhicule adapté;
- les appareillages et les aides techniques;
- le préjudice sexuel;
- le préjudice d'établissement;
- le déficit fonctionnel temporaire;
- le déficit fonctionnel permanent.
Cette injustice a été combattue par de nombreuses associations
et notamment la FNATH. Un projet de loi a été récemment rejeté.
C'est dans ce contexte que le Conseil Constitutionnel, interrogé
par la Cour de Cassation sur une question prioritaire de constitutionalité,
vient de rendre une mémorable décision n°2010-8
QPC du 18 juin 2010 portant "sur la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit des articles L 451-1 et
L452-1 à L452-5 du Code de la Sécurité Sociale".
Le Conseil constitutionnel "dans sa séance du 17 juin 2010,
où siégeaient M. Jean-Louis Debré, Président, MM. Jacques Barrot,
Guy Canivet, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Mme
Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Hubert Haenel, Jean-Louis Pezant
et Pierre Steinmetz a considéré dans son article 18 que "pour
réparer une atteinte disproportionnée au droit des victimes
d'actes fautifs" :
"18. Considérant, en outre, qu'indépendamment de cette majoration,
la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant
la juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la
réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article
L. 452-3 du code de la sécurité sociale; qu'en présence d'une
faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte
ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée
au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que
ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent
demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages
non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale".
Ainsi, les victimes d'un accident du travail ou de maladies
professionnelles qui ont obtenu la reconnaissance d'une faute
inexcusable à la charge de leur employeur, peuvent désormais
demander à leur employeur la réparation des préjudices non prévus
à l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale (énumérés
plus haut) et donc solliciter la réparation intégrale
de leurs préjudices. Cette décision s'applique aux
instances en cours. Il est dès lors capital pour les victimes
d'un accident du travail ou de maladies professionnelles de
compléter leurs demandes et de solliciter la réparation intégrale
de leurs préjudices, et ce devant toutes juridictions (TASS,
Cour d'Appel...) mais aussi lors de l'expertise judiciaire.
Il convient de rappeler que, le Juge ne pouvant pas statuer
sur une demande non formulée par une victime, celle-ci doit
donc impérativement solliciter la réparation intégrale de ses
dommages.
Il va falloir attendre l'application de cette décision par la
jurisprudence des Tribunaux pour apprécier l'ampleur de cette
révolution initiée par la Conseil Constitutionnel. Une proposition
de loi a été déposée dans ce sens le 6 juillet
2010 "visant à instaurer la réparation intégrale des préjudices
subis par les victimes d'un accident du travail et de maladies
professionnelles en cas de faute inexcusable de l'employeur".
L'assemblée de l'ANADAVI a décidé le 9 juillet 2010 d'inviter
tous les acteurs de l'indemnisation à se mettre en rapport avec
les avocats de l'association pour obtenir les informations nécessaires
pour l'élaboration des missions d'expertises et les techniques
d'indemnisation intégrale. La loi a permis à l'employeur de
s'assurer dans le cadre d'une faute inexcusable. On ne doit
jamais oublier que, si l'indemnisation d'un dommage corporel
a un coût, le handicap, lui, est une charge exceptionnelle pour
celui qui le vit, surtout lorsque la victime a besoin de l'assistance
d'une tierce personne pour assurer sa sécurité, sa dignité et
tout simplement sa vie.
Catherine
Meimon Nisenbaum,
Nicolas Meimon Nisenbaum,
avocats à la Cour,
septembre
2010.
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