Les historiens du handicap ne retiendront certainement qu’une seule action du ministère de la socialiste Marie-Arlette Carlotti : dès les premières semaines, cette ministre déléguée aux personnes handicapées nommée le 16 mai 2012 a annoncé que l’échéance 2015 de la mise en accessibilité du cadre bâti et des transports ne serait pas tenue. Mais au lieu de donner une impulsion politique, relancer le chantier, stimuler les acteurs concernés, mobiliser les énergies, elle a commandé… un rapport d’état des lieux (lire l’actualité du 10 octobre 2012). Il n’en fallait pas davantage pour donner le signal de l’attentisme aux propriétaires et gestionnaires, relancer la rengaine des élus locaux enclenchée depuis 2009 contre une accessibilité qualifiée de coûteuse en temps de crise, et donner de l’espoir au lobby immobilier.

En assiégeant le Gouvernement, ce lobby a par ailleurs trouvé l’oreille sensible de la ministre du logement (qui a refusé d’intégrer le nouveau gouvernement), l’écologiste Cécile Duflot : elle a joué un jeu pervers avec les associations, comme en témoigne une note confidentielle que le président de l’Association des Paralysés de France de l’époque, Jean-Marie Barbier, a rédigée au sortir d’un entretien avec la ministre le 13 mars 2013 : « La note de mon cabinet m’indique très clairement que je dois vous donner raison, lui déclarait Cécile Duflot. [Mais] mon vécu politique m’invite à vous suggérer de vous rapprocher des acteurs de la construction afin de trouver un terrain d’entente. Sinon, c’est l’Elysée ou Matignon qui pourrait trancher le différend de manière brutale au vu lobbying mené intensément de l’autre côté. Mais c’est à vous de prendre l’initiative de la démarche car je nierai fermement si vous communiquez publiquement sur le fait que je vous ai suggéré cette démarche. » En clair, il fallait que les associations acceptent que dans la France de 2013 on construise des immeubles neufs inaccessibles, et elles devaient définir avec les professionnels du bâtiment un niveau réduit d’accessibilité. Piégées, elles sont entrées dans une logique de compromis en tentant de limiter les dégâts.

En massacrant le dossier « accessibilité », Marie-Arlette Carlotti inscrivait ses pas dans ceux de l’UMP Nadine Morano qui, de juin 2009 à novembre 2010 alors qu’elle était secrétaire d’État à la solidarité, n’avait eu de cesse de vouloir introduire des dérogations législatives à l’accessibilité des immeubles neufs. Ses efforts avaient été satisfaits par le sénateur UMP Paul Blanc, qui réussit à faire passer une proposition de loi, en juillet 2011, dont les principales dispositions ont été quelques jours plus tard censurées par le Conseil Constitutionnel (lire l’actualité des 28 et 30 juillet 2011). Mais c’est Marie-Arlette Carlotti qui a finalisé cette politique au long cours, en acceptant de reporter l’échéance de trois, six et neuf ans selon les établissements et infrastructures, et en révisant les normes d’accessibilité. Et comme les ministres chargés d’écrire tout cela dans la loi et la réglementation viennent de changer, ce chantier va logiquement prendre du retard et pourrait ne pas être achevé d’ici la fin de l’année. Mais si ces nouveaux ministres décident de rouvrir le dossier, ou que le gouvernement le considère non prioritaire au regard des autres dossiers urgents, la catastrophe sera totale.

Ex-ministre de Marseille.

L’avenir politique de Marie-Arlette Carlotti s’est consumé le dimanche 30 mars 2014, au soir des résultats des élections municipales : sévèrement battue dans sa tentative de gagner à la droite une mairie de secteur à Marseille, elle est immédiatement entrée en guerre contre son propre parti, exigeant la dissolution de son exécutif dans les Bouches-du-Rhône, dénonçant le processus des primaires citoyennes et attaquant de fait la direction nationale du PS qui n’avait pas voulu la dispenser de cette épreuve de qualification qu’elle a d’ailleurs perdue le 13 octobre 2013 en accusant ses « camarades » d’avoir triché. Parce qu’elle était ministre, elle estimait devoir régenter ce parti dans « sa » ville et être autoproclamée tête de liste socialiste à la mairie de Marseille. Elle s’est alors repliée sur la mairie du 3e secteur, qu’elle pensait gagner contre l’UMP sortant, Bruno Gilles, comme les sondages l’annonçait, mais le réveil a été brutal quand Marie-Arlette Carlotti a été sévèrement battue de plus de 4.300 voix.

De cet échec complet, elle ressort politiquement « carbonisée ». Elle n’aura toutefois pas ménagé ses efforts, employant les moyens de l’État pour faire venir des ministres à Marseille, jusqu’au Premier d’entre eux, Jean-Marc Ayrault, qui avait promis le 8 novembre 2013 plus de 3,5 milliards d’euros d’investissement dans les infrastructures (alors, nous dit-on, que les caisses de l’État sont vides), 80 policiers et 53 agents supplémentaires pour Pôle Emploi, etc. Les marseillais n’ont pas cru à la promesse et voté majoritairement à droite en écrasant les candidats socialistes.

Les 22 mois de Marie-Arlette Carlotti au gouvernement sont découpables en deux périodes : la plus longue, de mai 2012 à octobre 2013, celle de « ministre de Marseille », puis ministre à temps partiel des personnes handicapées jusqu’à la chute du Gouvernement le 31 mars 2014. Avant de décider, en mai 2013, de ne plus publier l’agenda hebdomadaire de ses activités (prétextant de risibles questions de sécurité quand les autres ministres et le Président de la République publient leur agenda), Marie-Arlette Carlotti consacrait en moyenne trois jours à son portefeuille ministériel et le reste à Marseille et sa proximité : visites de terrain, accueil d’autres ministres, inaugurations et cérémonies éloignées de son portefeuille, elle a joui d’une large liberté d’action afin de séduire Marseille pour en conquérir la mairie. Dans le même temps, elle a peu rencontré les acteurs du petit monde du handicap, peu dialogué et marqué sa présence. Si elle affirme avoir réuni le Comité Interministériel du Handicap, le 25 septembre 2013, pour annoncer 270 mesures, elle n’en a pas renforcé le Secrétariat général censé coordonner l’action des ministères impliqués dans leur mise en oeuvre et qui est composé… d’une seule personne.

On sait que les relations de Marie-Arlette Carlotti avec sa ministre de tutelle, Marisol Touraine, étaient mauvaises, et exécrables avec sa collègue déléguée aux personnes âgées, Michèle Delaunay : les membres du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées ont eu l’occasion de constater comment ces ministres se déchiraient en public. Encline ces derniers mois à créer missions parlementaires et groupes de travail sur des thèmes déjà étudiés par les gouvernements précédents en matière d’accessibilité électorale, à la consommation, au livre, à la culture, Marie-Arlette Carlotti était experte dans l’art de renvoyer les décisions à plus tard. Pendant ses 22 mois de ministère, elle n’aura finalement pris que deux décisions : demander le placement sous administration provisoire d’un Institut Médico-Educatif soupçonné de maltraitance envers les 80 jeunes polyhandicapés qu’il héberge, puis porter plainte pour détournements de fonds publics. Deux décisions fortes, courageuses même parce qu’elles désavouent l’administration locale qui ne voulait pas voir et s’était toujours contentée de promesses d’amélioration. Mais deux décisions pour une ministre en 22 mois, c’est bien peu.

Laurent Lejard, avril 2014

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