En ces années d’austérité, les compressions de dépenses concernent également les établissements d’hébergement en long séjour de personnes handicapées. Dans ce contexte, alléger les coûts en introduisant, à la place de professionnels qualifiés et diplômés, des volontaires du service civique et des bénévoles, est présenté comme une solution par des organisations dépendant de l’église catholique, qui vantent également les mérites de la vie communautaire qui découle des valeurs de l’Evangile sur laquelle elles sont fondées.

Vie communautaire.

L’Arche comporte une trentaine de communautés en France, qui gèrent toutes des établissement médico-sociaux pour personnes handicapées mentales. Au total, elles reçoivent un millier d’usagers, encadrés par un mélange de travailleurs sociaux et de volontaires du service civique, ainsi que de bénévoles. A Paris, elle gère depuis deux ans des appartements, regroupés dans un petit immeuble, destinés à des jeunes sortant d’établissements pour apprendre à vivre en autonomie : Philae, voisin du centre d’accueil de jour L’Atelier de l’Arche. La cave voûtée de l’immeuble est aménagée en chapelle où est célébrée une messe hebdomadaire, entre autres activités « ludiques ».

« La vie communautaire a une dimension réseau, une envie de vivre un projet commun pour qu’aucun mur ne nous sépare, explique Benoît Cazalaà, directeur de L’Arche à Paris. Le planning d’animation met en scène le quotidien. On a une volonté de vivre ensemble, on n’est pas les éducateurs d’un côté, les personnes handicapées de l’autre : quelles sont tes difficultés, comment t’aider ? » Une animatrice ajoute que des sorties sont organisées, pour des loisirs, des pique-niques et autres activités, un dîner communautaire est préparé en commun une fois par semaine. Philae reçoit également un groupe de retraités, « les Beaux Sieurs », qui participent aux activités proposées : chorale, piano, groupe Foi et Lumière, temps de réflexion et vie spirituelle. Quelle est la part du religieux dans cette activité ? « Au départ, dans les années 1970, c’était une envie de vivre une aventure commune, reprend Benoît Cazalaà. La communauté est fondée sur les valeurs de l’Évangile, plus ou moins marquée selon les communautés, elle est par exemple plus importante au siège de L’Arche à Trosly Breuil (Oise). Mais ce n’est pas notre ‘fonds de commerce’. Si on est chrétiens, on va se nourrir dans la Bible. Certains sont croyants, d’autres non, le directeur est juif. » Les usagers de ces établissements, placés par la Maison Départementale des Personnes Handicapées, ne sont pas sélectionnés sur critère religieux ni contraints de suivre la messe.

Toutefois, l’activité de L’Arche bute sur la réalité de la pratique de l’église catholique qui constitue le socle de son orientation spirituelle et religieuse (lire ce Flop) : « Il y a encore un refus de marier, de la part de certains prêtres, parce que des personnes handicapées ne peuvent pas avoir d’enfants, déplore Benoît Cazalaà. Avoir des relations affectives et sexuelles est un sujet difficile. On y travaille, les logements sont plus grands. C’est un long travail avec les familles, les personnes handicapées. » Et une entorse sévère au respect de la vie privée des usagers, pourtant garantie par la loi depuis 1927 (article 9 du Code Civil). « On est sans arrêt au contact avec l’extérieur, conclut Benoît Cazalaà. Il y a beaucoup d’invités dans les foyers, mais il faut que ça corresponde à la vie du foyer. Une éducatrice, a mis en place un groupe de paroles sur la vie affective et sexuelle, une souffrance essentiellement subie par les femmes. »

Qui sert qui ?

La vie communautaire est également au coeur des « logements partagés » développés par l’association Simon de Cyrène (du nom d’un personnage ayant porté la croix de Jésus sur le chemin de son supplice). Son premier établissement est installé dans l’enceinte d’un prieuré occupé par des religieuses, Sainte-Bathilde à Vanves (Hauts-de-Seine). Il héberge 35 jeunes traumatisés crâniens qui partagent leurs logements avec les personnels et les bénévoles qui les aident au quotidien. S’il n’y a pas de critère d’appartenance religieuse, les « participants » doivent adhérer au modèle de gouvernance de vie partagée. A l’origine du projet, un groupe d’amis qui, pendant 10 ans, a fonctionné en groupes de parole à la manière des Fioretti de Saint-François d’Assise, précise l’un des fondateurs, Laurent de Cherisey.

Heureuse d’y résider depuis quelques mois, Aude habitait précédemment chez ses parents : « Je découvre une nouvelle façon de vivre, en autonomie. Je suis plus disponible pour la famille, les amis, en faisant partager ce que je vis ici. » Aude ne travaille pas, mais participe à des activités, apprécie le théâtre, qu’elle pratique dans un atelier, assiste à des conférences pour satisfaire son goût de l’Histoire, contribue à la vie spirituelle : « C’est l’une de mes grandes joies, entendre un moment de silence dans la chapelle. » Le prieuré Sainte-Bathilde compte plus d’une vingtaine de religieuses bénédictines : « On cherchait un projet viable pour ce monastère, explique la mère supérieure, parce qu’il était trop grand pour la communauté qui y résidait, tout en restant et en ouvrant certains bâtiments à une association ou une oeuvre. C’est une véritable alliance humaine et spirituelle, un projet de vie qui honore l’Homme et le met au coeur du projet, l’Homme créé à l’image de Dieu, l’Homme sauvé. » Elle précise que les résidents handicapés sont rattachés à la paroisse de Vanves et participent aux offices du soir, Vêpres et messe : « Il y a toujours des résidents qui viennent, on a fait une très belle célébration le jour de Pâques, jeudi saint, vendredi saint, on a fait le chemin de croix ensemble. »

David, quant à lui, Infirme Moteur Cérébral, est l’un des premiers à s’être installé dans un appartement partagé : « On vit en communauté avec les assistants. On est quatre handicapés à partager l’appartement, on est huit en comptant les assistants. C’est l’osmose, on est sur la même longueur d’ondes, on est là pour se retrouver. On partage la vie quotidienne du lever au coucher, les assistants nous aident pour tout, la toilette, manger, les activités. »

Ces dernières sont, pour la plupart, proposées sans contrainte : cinéma débat, rédaction d’un journal, apprentissage de langues, etc, chaque résident pouvant également sortir comme il veut ou s’isoler, assure David : « On a chacun notre studio. Pour avoir du monde il suffit d’ouvrir la porte ! Chaque mois, il y a un temps communautaire où tout Simon de Cyrène se retrouve. Sinon, chacun est libre d’aller à la messe comme il veut. Comme on a les Bénédictines à côté, l’église a été adaptée pour les fauteuils roulants. Ça m’arrive d’y aller, pas tout le temps : je ne fais pas partie des accros, il y en a ! »

Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2013.

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