« Le handicap, il y a ceux qui le vivent et ceux qui en vivent ». C’est le parti des premiers que nous avons pris en octobre 2000 en créant le magazine Yanous.com. Soutenu lors de son lancement par un mécénat de Microsoft France, issu de la rencontre de son directeur général adjoint de l’époque, Roger Abehassera que l’on remercie mille fois ! Rares sont les dirigeants d’entreprise reconnus pour leurs qualités humaines, et Roger Abehassera est de ceux-là. Ce soutien eut d’ailleurs une conséquence tout d’abord fâcheuse, puis salutaire : la paranoïa des associations nationales de personnes handicapées qui croyaient à l’époque que la multinationale informatique lançait une OPA sur le monde du handicap ! Cet ostracisme nous a conduits à conserver une stricte indépendance de ces associations, dont on évoque d’ailleurs qu’assez peu les activités en comparaison du foisonnement d’initiatives qu’animent des milliers de personnes handicapées dans notre pays. Individuelles ou collectives, toutes témoignent d’une volonté de vivre pleinement avec ses moyens, au milieu des autres. Ce sont elles que Yanous.com a voulu essentiellement présenter en 500 magazines.

Pour célébrer cet engagement, c’est un numéro exceptionnel que nous vous proposons, série de cartes blanches confiées à des personnes dont nous avons évoqué et suivi les activités. Ce numéro, le dessinateur Paul Samanos le fête à sa manière, en prélude à la publication de son second album dans quelques semaines. Le seul parlementaire handicapé que compte notre pays, Damien Abad, rappelle sa vision d’une société plus inclusive. La jeune Jeanne Sibourg nous invite à suivre nos envies et réaliser nos projets, elle qui cumule tétraplégie et études de médecine. Président d’une association de défense, Henri Galy revient sur les avancées et reculs successifs du droit à une retraite anticipée. La documentariste Brigitte Lemaine expose ses difficultés à travailler de manière indépendante à valoriser la richesse culturelle et sociale des Sourds. L’ancien dirigeant socialiste Vincent Assante alerte sur le danger que fait courir la politique de l’habitat inclusif. Père d’un jeune trisomique, Olivier Raballand raconte le parcours vers l’autonomie de son garçon sensible. Président honoraire d’une confédération, Philippe Chazal plaide pour l’engagement massif de personnes handicapées dans les associations afin qu’elles n’en soient pas dépossédées, un propos assez proche de celui du militant Marcel Nuss auquel on doit, avec les amis et autres militants qu’il a su mobiliser en 2002, une aide humaine à domicile décente pour les personnes handicapées dépendantes. Enfin, autre soutien indéfectible de notre magazine, l’avocate Catherine Meimon Nisenbaum, expose la nécessité d’être défendu par des spécialistes quand on est victime, pour ne pas l’être deux fois.

Nous aurions pu faire davantage mais quelques personnalités ont fait faux bond. Gilbert Montagné, très occupé par un nouveau disque et son spectacle des Folies Bergères où il a montré ses « belles gambettes », a regretté de manquer de temps pour rédiger une carte blanche : dommage, car sa parole est toujours vivifiante quand elle est libre. Mais que dire de la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, ex-présidente d’une fédération pour la scolarisation d’enfants handicapés ? Nous lui avons proposé une interview « sans tabou » sur des sujets qu’elle n’a pas évoqués depuis son entrée au Gouvernement en mai dernier : l’handiparentalité laissée pour compte de la compensation du handicap, les violences et maltraitances au moment où l’affaire Moussaron est revenue dans l’actualité sans que la ministre réagisse, la vie affective et sexuelle dont la question « sensible » de l’assistance sexuelle, le plafond de verre dans la vie politique. Après l’accord de principe de son conseiller communication, il ne restait plus qu’à caler un rendez-vous… qu’on attend encore ! Il est vrai que ces sujets sont très éloignés du triptyque utilitariste en cours de déploiement : scolarité – formation – emploi, sur lequel Sophie Cluzel s’épanche à longueur d’interviews.

La vie est, en effet, faite de bien d’autres choses auxquelles les politiques gouvernementales de ces dernières années ont réduit l’accès, dont la réforme de l’accessibilité qui a supprimé celle de la chaine du déplacement et multiplié dérogations et délais en tous genres. Il reste néanmoins à nos gouvernants de nous expliquer comment on peut étudier et travailler si les transports et les locaux sont mal ou pas accessibles… Leur vision libérale, comptable, ne s’intéresse guère à ce qui fait le sel de la vie : sortir, rencontrer, découvrir, connaître, rire, aimer, se faire plaisir !

C’est l’une de ses prédécesseures au secrétariat d’Etat aux personnes handicapées, Marie-Anne Montchamp, qui évoque ce « fichu plafond de verre », qui bloque l’accès à l’égalité des chances, à la participation et à la citoyenneté, ces trois piliers de la loi du 11 février 2005. Marie-Anne Montchamp relate franchement son expérience du monde du handicap, comment il a changé sa manière de faire de la politique et ce qui manque encore pour ne serait-ce qu’atteindre les objectifs fixés par le législateur de 2005. On en est encore là en cette fin 2017. Et s’il est temps de penser aux réjouissances de fin d’année, c’est en se projetant déjà dans les traquenards annoncés pour les prochains mois, cette avalanche de réformes qui doivent « transformer » la France. Un ancien Premier ministre, Georges Pompidou, avait eu ce mot un soir de 1966, fatigué de signer une succession de décrets : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français. Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays ! » Si nos actuels gouvernants pouvaient méditer cela…

Laurent Lejard, décembre 2017.

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