Après le retrait des autres villes candidates, le Comité International Olympique ne pouvait, le 13 septembre dernier, sauf à enjamber l’échéance, que désigner Paris pour organiser en 2024 les 33e Jeux Olympiques de l’ère moderne, et les 17e Jeux Paralympiques. Les autorités de Boston (USA) avaient renoncé en juillet 2015 faute de soutien de la population, celle de Hambourg (Allemagne) avait majoritairement voté contre la candidature en novembre 2015, Rome (Italie) avait abandonné en octobre 2016 suite au changement de municipalité, de même que Budapest (Hongrie) en février dernier après une pétition recueillant plus de 266.000 signatures contre l’organisation des Jeux. Restait l’américaine Los Angeles, venant se substituer en catastrophe à Boston et qui a conclu un accord avec le CIO pour obtenir les Jeux de 2028.

Premier enseignement : les Jeux ne font plus recette et quand les citoyens s’expriment, ils en rejettent l’organisation dans leurs villes. L’évolution vers le professionnalisme, les frasques du sport-business, l’image de corruption maintes fois accolée à des membres du CIO, les scandales à répétition liés au dopage dans le sport-spectacle, le gouffre financier que représentent ces quatre semaines de compétition, tout concourt au rejet populaire en temps de crise. Pour éviter cet écueil, la municipalité parisienne s’est donc gardée de demander son avis à la population alors que la précédente candidature, en 2004-2005, avait obtenu un réel soutien. Dix ans plus tard, les décideurs parisiens n’ont pas tenté de mobiliser, la démocratie participative locale restant limitée à des options mineures sur des actions décidées par la municipalité. Il aurait fallu argumenter pour convaincre alors que le risque de rejet lié au débat public avec échange pour-contre était grand. Les édiles ont donc préféré monter des actions de com’ en associant des sportifs, et s’en trouvent en quelque sorte récompensés par une victoire faute de combattants.

Pour faire a minima passer sa candidature dans l’opinion, la municipalité a asséné ses arguments : le budget serait réduit et maitrisé, les Jeux laisseraient un héritage en matière d’accessibilité et de visibilité des personnes handicapées. Côté budget, toutes les villes organisatrices des dernières olympiades ont minoré les coûts mais au final l’addition a pour le moins doublé. Les 6,6 milliards annoncés pour Paris seront très certainement dépassés, même s’ils intègrent des dépenses déjà budgétées. C’est ainsi que le milliard et demi d’euros évoqué pour la mise en accessibilité des transports collectifs d’Ile-de-France sont inscrits dans l’Agenda d’Accessibilité Programmé (Ad’Ap) du 8 juillet 2015 qui réforme le Schéma Directeur d’Accessibilité du 19 juin 2009. Cet Ad’Ap a d’ailleurs été adopté par le Conseil Régional quelques jours avant que Paris annonce sa candidature à l’organisation des Jeux, et donc bien avant que la ville monte son dossier.

Il n’y a donc aucun effort supplémentaire, et il est abusif de prétendre que l’organisation des Jeux de 2024 améliorera l’accessibilité des transports. Cela d’autant plus que la SNCF, qui exploite les trains de banlieue, vient d’annoncer le report de quatre ans de travaux de mise en accessibilité de gares de la ligne D du RER. Certes, cette ligne ne desservira pas des sites olympiques mais la compagnie nationale de chemins de fer montre clairement qu’elle n’est pas liée par le calendrier qu’elle a elle-même élaboré… Enfin, dans une ville dont la voirie dégradée est mal entretenue, où les équipements d’accessibilité sont souvent délabrés ou en panne, on pourrait faire de belles choses avec 6 milliards d’euros, comme créer des espaces sportifs de proximité dont profiteraient tous les habitants. Parce qu’ils n’ont que faire d’une piscine ou d’un gymnase olympique : ce n’est pas là qu’ils pratiqueront au quotidien leurs activités sportives.

Pour ce qui concerne la visibilité des personnes handicapées, bien des efforts devront être faits en amont des jeux pour ne pas jouer devant des sièges vides. En effet, actuellement, il n’y a pas en France (à de très rares exceptions près) de public pour les compétitions handisport, même internationales, même gratuites, ce que reconnaissait volontiers le président de la Fédération Française Handisport en juin dernier : « Culturellement, c’est aussi un constat. En France on est encore en retard par rapport au handicap. » Les compétitions n’intéressent que les amis et la famille des handisportifs, et quand il faut du public, on mobilise les enfants des écoles comme dans les régimes autoritaires !

Pour attirer et fidéliser un public au spectacle handisportif, il va falloir que les clubs aillent le chercher, communiquent, captivent, et que la FFH se comporte en diffuseur de l’information sur les handisports. A cet égard, il y a du mieux depuis quelques années : la FFH annonce à la presse les grands événements, mais en privilégiant une communication positive, et ne diffusant que les résultats gagnants. Par exemple en juillet dernier, un communiqué sur la victoire de l’équipe de France au championnat du monde de foot-fauteuil, et aucun sur les piètres résultats du championnat d’Europe d’athlétisme lors desquels les Français n’ont pas remporté une seule médaille d’or ! Le président de la FFH pense que « la reconnaissance du handicap ne passera et ne peut passer que par les médias. » Chantier colossal tant les stéréotypes sont répandus, entre les « z’handicapés » qui se surpassent en réalisant des exploits aussi spectaculaires qu’inutiles, et ceux qui vivent dans les difficultés sanitaires et sociales tout aussi héroïques mais parfaitement invisibles. Pas de nuance dans les émissions et reportages, peu de représentations crédibles dans les fictions, et une perception évoluant entre 0,6 et 0,8% dans les études du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel…

Pourtant, la France se devra de faire bonne figure lors de ces Jeux. Or, la quasi-totalité des sportifs et handisportifs de haut-niveau seront « à la retraite » dans sept ans, il est nécessaire de lancer dès maintenant un plan de promotion de tous les sports et handisports. Mais où est-il ? Pas dans les priorités du Gouvernement; la ministre des sports, l’ancienne escrimeuse Laura Flessel, n’a encore rien évoqué dans ce domaine. C’est plutôt le contraire qui de dessine : les sportifs amateurs de haut-niveau, de même que les professionnels, sont tous issus de clubs gérés par des associations dont le proche avenir est compromis, notamment par la disparition des emplois aidés. Les collectivités territoriales apportent un soutien essentiel à ces associations, menacées par la baisse des crédits d’Etat qui se traduit déjà par une réduction des investissements et des subventions. Comment organiser des activités sans encadrants et promouvoir le sport sans maintenir en état stades et gymnases ? L’austérité qui frappe ne sera pas compensée par le sponsoring, qui va aux activités les plus médiatiques.

C’est donc dans un contexte de misère que se profile la préparation des futurs sportifs et handisportifs dont les meilleurs participeront aux Jeux de 2024, bien loin des paillettes et de l’argent-roi qui écrase chaque jour davantage l’idéal du sport pour tous.

Laurent Lejard, septembre 2017.

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