Près de 300 participants. Surtout des professionnels et des représentants associatifs. Peu de personnes dites handicapées : 15 ou 20 ? Objectif réussi… si l’on considère que le quota d’embauche pour souscrire à la loi de 1987 est de 6 % ! Plus sérieusement : la ministre chargée des personnes handicapées, qui décrit la réalité de la situation vécue par les demandeurs d’emploi handicapés et qui n’hésite pas à demander à ce que les participants dans la salle prennent largement la parole. Quitte à parler de ce qui fâche : ça, c’est plutôt nouveau !

Pour le reste, un véritable remake des différents colloques et journées d’études qui ont ponctué ces 25 dernières années sur cette question. Une première table-ronde avec deux incontournables « grands témoins », le premier responsable d’une entreprise décrivant comment s’est déroulé l’accueil d’un travailleur handicapé qui a priori n’aurait jamais dû trouver sa place sans une telle mobilisation et un véritable accompagnement humain dans l’entreprise, le second, le travailleur handicapé qui exprime sa satisfaction d’avoir une vie presque comme tout le monde…

Puis les représentants de l’entreprise Carrefour indiquent que l’objectif de 6 % est atteint et décrivent par le menu le soin pris en amont et de manière régulière pour l’adaptation des postes de travail en fonction de la réduction des capacités professionnelle de tel ou tel salarié afin d’éviter le couperet que peut constituer le verdict « d’inaptitude » appliqué trop souvent et trop vite vis-à-vis de nombreux salariés, ici ou là.

Les représentants de Pôle Emploi décrivent ensuite par le menu leurs difficultés quotidiennes pour traiter des situations des salariés en général, et les travailleurs handicapés en particulier. Suivis des représentants de Cap Emploi qui indiquent que chaque conseiller suit en moyenne 170 demandeurs d’emploi handicapés, et l’impossibilité d’un véritable travail de suivi et de prise en compte de toutes les dimensions qui donnent toute la complexité d’une situation d’une personne handicapée en recherche d’emploi.

Puis, les représentants du secteur adapté ou du secteur protégé soulignent l’insuffisant investissement de l’AGEFIPH dans la durée et la vision comptable de réalisation d’objectifs d’insertion de travailleurs handicapés en milieu ordinaire sans mesurer qu’il s’agit d’un travail de longue haleine et de grande complexité. En réponse, les représentants de cet organisme soulignent que son budget n’est pas extensible et qu’il faudra faire des choix quant aux missions qui leur sont confiées par le législateur.

Vient le tour de la salle et l’exposé traditionnel de difficultés vécues au quotidien par des personnes dans leur recherche d’emploi, ou par des professionnels pour le compte des personnes handicapées. Des remarques parfaitement justifiées, aussi, à propos de l’importance d’agir dans le circuit scolaire afin d’éviter toute rupture qui conduit trop souvent des jeunes gens à basculer dans le secteur dit de l’inadaptation, alors que cela aurait pu être évité si en amont le soutien avait été de qualité.

À l’évidence, le lecteur reconnaîtra dans ce qui précède les habituelles questions et réponses de ce genre de débats ! Du déjà-vu et du déjà entendu. Comme si rien n’avait progressé ou presque depuis lors. Ce qui, malheureusement, est une réalité.

Mais que de non-dits dans une telle journée ! En effet, comment traiter de l’emploi des personnes handicapées indépendamment de la politique générale mise en oeuvre pour l’ensemble de la population en situation de travailler ? Bien entendu et comme d’habitude, les représentants du mouvement associatif ne veulent traiter que de leurs sujets et jouent les autruches. Comment s’étonner de la diminution des crédits ici ou là quand la politique gouvernementale est dominée depuis plusieurs années par le dogme de la réduction de la dépense publique ? Quoi ? De telles réflexions politiques dans un tel débat ? Mais vous n’y pensez pas !

Comment déplorer une telle situation vécue par les personnes handicapées quand les Fonds public et privé [FIPHFP et AGEFIPH NDLR] devant faciliter l’intégration professionnelle des intéressés interviennent depuis des années, non en complément des financements de l’État, mais en substitution de celui-ci ? Comment admettre, 10 ans après le vote de la loi de 2005 prévoyant l’accessibilité des lieux de travail, que les textes réglementaires n’aient pas encore été publiés ? Bref, il n’a pas à s’étonner que l’impétrant qui osa poser ces questions n’obtint pas de réponse ! Sauf pour la dernière puisqu’un arrêté serait à la signature sur le sujet.

Quant à la seconde table ronde traitant de la négociation collective et de la nécessité comme des limites d’y intégrer plus systématiquement la situation des travailleurs handicapés dans le cadre commun, comme les plans de maintien dans l’emploi de travailleurs menacés de licenciement, elle devenait au corps défendant des organisateurs la démonstration la plus éclatante que l’emploi des travailleurs handicapés ne peut pas être dissocié de l’emploi des travailleurs en général, et combien une question que l’on veut faire apparaître comme spécifique n’est en réalité que l’expression particulièrement révélatrice des contradictions sociales d’une société où la productivité, la compétitivité et le profit sont devenus les nouvelles valeurs éthiques qui doivent s’imposer à tous.

Cerise sur le gâteau, un ministre de l’emploi [François Rebsamen NDLR] venu tout à la fin pour conclure des débats auxquels il n’a pas assisté et lisant un discours ponctué d’une litanie de mesures qui ne pouvaient convaincre que ceux qui souhaitaient être convaincus. Une mise au point tout de même : les 29 millions d’euros ponctionnés par l’État sur les Fonds pour l’intégration professionnelle des personnes handicapées ne sont pas destinés à combler les déficits de l’État dans tel ou tel secteur mais à financer le quota d’emplois aidés pour les personnes handicapées ! Incroyable mais vrai : le ministre n’a pas mesuré que cet aveu signifiait on ne peut plus clairement que les personnes handicapées ne relevaient pas du droit commun mais du droit spécifique puisqu’elles ne pourront bénéficier de ces emplois aidés ouverts à tous que grâce à financement spécifique ! Tout était dit.

Que retiendra de ce Forum la Conférence Nationale du Handicap qui se tiendra à Paris le 11 décembre prochain ? Le pire est à craindre.


Vincent Assante, président de l’ANPIHM, décembre 2014.

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