Le chantier de simplification et d’allègement des normes applicables, notamment aux collectivités locales, ressemble désormais au rocher de Sisyphe : depuis trois ans, missions et rapports accouchent de propositions de lois qui échouent finalement à gravir la montagne des normes. Ce vaste chantier lancé par le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, semblait s’inscrire dans une politique ultralibérale censée, en simplifiant considérablement les normes de fabrication, construction, qualité, service, sécurité et accessibilité, stimuler la liberté d’entreprendre et sa profitabilité. Il faut croire que c’était une erreur d’interprétation : le Premier ministre, socialiste, du nouveau Président de la République, également socialiste, a lancé une nouvelle mission contre l’inflation normative pour pallier l’échec des précédentes. Confiée à l’ancien ministre du budget (2002-2004) et actuel président du Conseil Général de l’Orne, Alain Lambert, et au maire socialiste du Mans, Jean-Claude Boulard, elle vise à proposer des « outils et méthodes pour évaluer les normes s’appliquant aux collectivités territoriales », recenser celles qui sont complexes ou inadaptées et évaluer leur éventuel aménagement, et établir une liste de normes à abroger. Ce rapport est attendu pour la fin de ce mois de mars.

Sauf que : « Quand on veut faire bouger les lignes, on n’attaque pas les normes handicap, explique Jean-Claude Boulard. C’est un choix stratégique fait avec Alain Lambert, afin que les associations de personnes handicapées ne contestent pas notre rapport. Personne ne peut contester la légitimité des normes d’accessibilité. Ces normes sont considérées comme sacrées, sur lesquelles le débat n’est plus possible. La question de l’accessibilité ne sera pas en première ligne, je le regrette. Mais les élus savent qu’ils ne pourront pas faire. » Et de citer la mise en accessibilité de logements pour les gendarmes : « Que tous soient adaptés est une hypothèse qui n’est pas crédible. On peut retrouver la même chose pour les étudiants, on pourrait leur adapter des logements en rez-de-chaussée. Beaucoup de gens demandent des rez-de-chaussée parce que les ascenseurs sont mis en panne. » Jean-Claude Boulard appuie son propos en invoquant ceux tenus par le maire d’une commune de 500 habitants qui se dit contraint de faire des trottoirs sur lesquels deux personnes en fauteuil roulant peuvent se croiser. On pourrait lui répondre qu’il suffit qu’un établissement médico-social s’installe dans la commune pour que l’investissement soit parfaitement justifié, mais faut-il pour autant entrer dans les arguments des partisans de la proportionnalité des normes ?

Pour la résumer, cette notion consiste à alléger ces normes en fonction du nombre d’habitants et du budget d’une commune ou d’un territoire. Portée par Nicolas Sarkozy pour complaire aux élus locaux, la proportionnalité n’a pas disparu, elle va simplement changer de terme : « L’égalité, poursuit Jean-Claude Boulard, c’est un droit de la différence; on doit traiter les gens de la même façon, quel que soit le territoire. Ce n’est pas tant la proportionnalité que l’adaptabilité qui est importante, en faisant confiance aux territoires. » L’égalité de traitement sera-t-elle assurée par une adaptabilité des normes ? Rien n’est moins sûr, mais cela colle bien avec la politique d’austérité conduite actuellement et que constate Jean-Claude Boulard : « On est dans une hypocrisie générale, alors que les collectivités locales voient baisser leurs ressources de 4,5 milliards d’euros. » Une manière de dire que « le normeur n’est pas le payeur ».

Mais si les normes d’accessibilité ne figureront pas au tableau de chasse de la mission Boulard-Lambert, elles n’en sont pas quittes pour autant : « On va plaider pour des conférences de consensus, des compromis, des choses intelligentes, conclut Jean-Claude Boulard. On a rencontré une telle réticence à en discuter ! Je préfère faire le constat lucide de notre société et de ses difficultés à discuter. On va continuer à vivre avec cet horizon de 2015. » Que fera le Gouvernement au-delà de cette échéance ? Un autre rapport remis le 1er mars au Premier ministre par la sénatrice socialiste Claire-Lise Campion, hypocritement intitulé « Réussir 2015 », préconise d’alléger les normes d’accessibilité en matière de logement, hôtellerie, hébergements de loisirs, établissements scolaires et universitaires, commerces. Notre époque a ceci de bien qu’elle pratique l’égalité des sexes, avec comme résultat que Sisyphe peut également être une femme.

Laurent Lejard, mars 2013.


La Mission contre l’inflation normative a ouvert un blog dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’intéresse guère les élus : une quarantaine de contributions seulement meublent le forum qui leur est consacré…

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