Les gouvernements changent, les politiciens passent, rien n’y fait : la réalité physiologique, qui veut qu’une personne vivant avec une déficience à 59 ans et 364 jours ait toujours le même handicap le lendemain pour ses 60 ans, est encore refusée par les décideurs politiques français. La ministre déléguée aux personnes âgées et à la dépendance l’a récemment précisé lors de l’installation de la mission d’étude sur les personnes handicapées vieillissantes : « Dans le projet de loi dont la date a été fixée par François Hollande avant la fin de l’année, nous n’aborderons pas la question de la barrière d’âge. Nous gardons l’ambition du 5e risque, mais nous n’avons pas en ce moment la capacité, je parle bien sûr des conditions financières, de la lever d’un coup. »

Comme ses prédécesseurs, le gouvernement actuel affirme sa volonté de ne pas appliquer l’une des dispositions de la loi du 11 février 2005 qui supprimait, à compter du 12 février 2010 (sous réserve d’un décret ad hoc jamais publié), la limitation jusqu’à 60 ans du cadre de prise en charge sanitaire et sociale des personnes handicapées. Dès 60 ans, la plupart basculent dans celui des personnes âgées, bien moins favorable : perte nette sur le revenu de remplacement, accès fermé à la Prestation de Compensation du Handicap sauf en cas de poursuite d’activité professionnelle, changement de régime de prise en charge du séjour en établissement médico-social, l’ensemble couronné d’une masse de formalités dont la compréhension dépasse fréquemment l’entendement des personnes concernées, simultanément confrontées à faire valoir leurs éventuels droits à la retraite : bienvenue dans le 3e âge !

Mais pourquoi cet acharnement des gouvernements à piétiner la volonté du peuple telle que ses représentants l’ont manifesté dans la loi du 11 février 2005 ? Car c’est bien d’un déni de démocratie qu’il s’agit, les gouvernements successifs (qui ne sont que nommés) s’opposant aux députés et sénateurs élus au suffrage universel. La réponse est triviale comme souvent : l’argent. Le budget de la France ne permettrait pas d’appliquer la loi et proposer une fin de vie digne aux personnes handicapées vieillissantes. Il existe en effet une forte différence entre la Prestation de Compensation du Handicap et l’Allocation Personnalisée d’Autonomie attribuée aux personnes âgées dépendantes : cette dernière comporte une part importante de dépenses laissées à la charge du bénéficiaire, contraint de ponctionner sa retraite, sans forfait adapté aux personnes déficiences sensorielles ni aux personnes handicapées dépendantes. La perspective, c’est l’enfermement dans un Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Bornée, dès son lancement, par la volonté politique, la mission d’étude sur les personnes handicapées vieillissantes voit son périmètre de travail considérablement réduit. Elle ne pourra formuler de propositions qu’à cadre constant de financement, sans nouvel apport même s’il est nécessaire. Elle est priée de faire entrer les personnes handicapées vieillissantes dans le périmètre de prise en charge des personnes âgées dépendantes, avec les ajustements marginaux que le gouvernement pourra accepter. Et pour se garantir que la mission d’étude corresponde à leur volonté, les ministres déléguées aux personnes âgées et aux personnes handicapées ont demandé à Patrick Gohet, Inspecteur Général de l’Action Sociale, de la diriger. Ancien Délégué Interministériel aux Personnes Handicapées, il connaît fort bien les problématiques, mais la manière très « dans le sens du Gouvernement » avec laquelle il a présidé le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) de 2009 à 2012 laisse d’ores et déjà augurer du rapport final.

En matière de handicap, l’alternance politique ne serait-elle qu’un leurre ?

Laurent Lejard, février 2013.

Partagez !