Vous avez dit financement ? Le besoin de financement est-il bien appréhendé ? Les hypothèses qui le fondent sont-elles réalistes ? Quel terme s’est-on fixé pour définir le besoin de financement du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2010 ? L’exercice 2010 ou l’exercice 2010 alourdi du résultat 2009 – ce qui revient à ajouter le déficit de 26,5 milliards d’euros (Fonds de Solidarité Vieillesse compris) au déficit estimé pour la seule année 2010 – ? Faut-il intégrer dès 2010, le déficit projeté de 2011 et de 2012 ? Notre organisation législative issue de la Loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale convient-elle aujourd’hui à la détermination opératoire de ce besoin de financement ? On sait bien qu’il est évolutif en période infra annuelle en fonction des risques de taux, de la variation des recettes, en fonction enfin des besoins de trésorerie au jour le jour. A l’instar de la loi de finances, on a vu à quel point, dans un contexte particulièrement évolutif et nécessitant des ajustements en temps réel, la LFSS nécessitera à n’en pas douter des ajustements en cours d’année. Ainsi, on peut se résumer en disant que notre PLFSS répond sans doute assez bien à une question mal posée avec des hypothèses inégalement réalistes.

Une bonne réponse, en effet, pour un PLFSS « au fil de l’eau » qui se proposerait de tenir mieux encore la dépense au prix de quelques mesures dures, « volontaristes » comme le disent les technocrates qui savent tout mais ignorent souvent le pays réel; au total pour les Français, un coût supporté par les ménages de 380 millions d’euros. Dans le même ordre et « au fil de l’eau » toujours, les mesures de renforcement des ressources vont dans le bon sens. Elles poursuivent le travail de résorption des niches sociales, elles écrêtent les exonérations (retraites chapeau) ou rétablissent une équité des prélèvements (Fisa), par une habileté technique, elles contournent le dogme du bouclier sans coup férir. Résultat attendu : 2,2 milliards d’euros…

Fort bien que tout cela, sauf que l’on se trompe dans l’échelle des besoins : dans le meilleur des cas, les besoins de financement sont, faut-il le rappeler, de 65 milliards d’euros pour 2010, qui s’amplifieront de 2 fois 30 milliards en 2011 et 2012. Ainsi, les PLFSS « au fil de l’eau » conduiraient le système à supporter les charges d’un financement exponentiel de 125 milliards d’euros en 2012, ce qui est un véritable non-sens. Un non-sens car le financement technique d’un tel déficit mettrait nos organisations de financement en échec. En effet, la particularité de ce besoin de financement est qu’il se répercute sur le besoin au jour le jour de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui doit être en mesure, pour permettre aux différentes branches de verser les prestations aux assurés, de trouver auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations, sur les marchés financiers, domestique ou international, des volumes de financement dont l’histoire récente a permis de mesurer la limite : à 35 milliards d’euros/jour, les contraintes techniques, les risques de taux changent de nature.

Quant aux hypothèses, elles méritent d’être soigneusement analysées et s’il est vrai que les scénarii 2010 sont raisonnables et prudents (croissance de 0,5%, masse salariale en recul de 0,4%, Objectif national des dépenses d’Assurance Maladie tenable à 3%) en revanche les hypothèses 2011 et 2012 sont quant à elles probablement inaccessibles ! Croissance à 2,5%, augmentation de la masse salariale de 5% en continuité sur les 2 dernières années du quinquennat. Par ailleurs, sur l’ensemble de la période, aucune hypothèse de variation de taux d’intérêts n’a été retenue, ce qui revient à se fonder sur des hypothèses de taux au plus bas au jour le jour, soit l’EONIA (Euro OverNight Index Average) de septembre 2009 à 0,24 points !

La France de 2010 n’est plus la France de 2007. La crise a eu sur notre économie un rôle potentialisateur dont les comptes sociaux ont immédiatement montré l’importance : plus de transferts sociaux, dans le cadre notamment de l’assurance chômage, moins de recettes sous l’effet de la rétraction de la masse salariale. Je me souviens qu’en tout début d’année 2009, l’ACOSS a constaté une réaction immédiate des acteurs économiques qui, contrairement à leur habitude, les a conduit à ajuster l’emploi sans même rechercher des conditions de paiement de leurs cotisations URSSAF.

C’est ainsi que l’on a vu la masse salariale réajustée au Sénat puis en loi de finances rectificative pour 2009. A un rythme préoccupant de 81.000 emplois détruits en moyenne de janvier à juin 2009, la France a changé : les emplois détruits sont pour l’essentiel des emplois industriels que le redémarrage de la croissance ne permettra pas de recréer à échéance budgétaire ! On peut donc bien affirmer que la crise a produit un effet d’accélération sur nos fondamentaux économiques plaçant notre pays dans une situation que nous n’aurions eu a affronter que 5 à 10 ans plus tard.

La part de la crise qui affecte nos comptes sociaux se détermine essentiellement sur 3 postes : la perte de recettes (11 milliards d’euros) d’une part, l’augmentation des dépenses de transfert vers l’assurance chômage d’autre part. Mais si la crise est un accélérateur, elle est aussi un puissant révélateur des distorsions de notre modèle de protection sociale que même une croissance retrouvée ne permettrait pas de compenser, car le sous-jacent actuel de notre modèle est aujourd’hui la dégradation du ratio actifs/inactifs, l’évolution des risques et l’émergence d’un risque nouveau, le risque vieillissement (retraite et dépendance). Or, notre système de recettes est à 70 % concentré sur les cotisations fondées sur le travail, ce qui se révèle tout à la fois insuffisant et récessif. Ces éléments de constat nous invitent à une nouvelle volonté réformatrice pour le rendez-vous présidentiel de 2012. Nous devrons avoir résolu nos différences et nos divergences pour proposer une réforme fiscale et des ressources sociales fondées sur un objectif de modération des prélèvements, d’apurement de nos déficits, de justice et de solidarité. C’est à ce prix que nous renforcerons notre dynamisme social et économique en préservant l’esprit d’universalité et d’uniformité de notre système de Sécurité Sociale.


Marie-Anne Montchamp, novembre 2009.

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