L’usage est donc établi : chaque année, aux alentours du 15 novembre, deux séries d’actions sont organisées par deux associations distinctes, L’ADAPT et l’Agefiph qui organisent avec leurs partenaires respectifs leur Semaine pour l’emploi des personnes handicapées. Chacune monte ses événements, forums, actions publiques, en étant attentive à ne pas croiser l’autre, à Paris tout au moins : le secteur associatif a parfois de ces susceptibilités, surtout quand il y a de l’argent et de la notoriété en jeu…

Pourtant, les deux Semaines pour l’emploi visent à faire reculer la peur du handicap et la crainte que recruter un travailleur handicapé soit trop compliqué, s’efforcent de valoriser des employés « différents ». Au risque de tomber dans le travers de la survalorisation du travailleur handicapé censé apporter un supplément d’âme à l’entreprise, avoir des qualités relationnelles surdimensionnées pour compenser son handicap, s’investir davantage dans son travail « parce qu’il en veut », et de plus sans rien demander en échange : une vraie perle ! Des gestionnaires en ressources humaines ont bien compris ce discours et la pression particulière qu’il faisait peser sur les travailleurs handicapés, en l’érigeant en méthode de management : le caractère exemplaire du travailleur handicapé sert à réprimer l’absentéisme sans en traiter les causes structurelles, telles de mauvaises conditions de travail ou un stress professionnel excessif, ou à modérer des revendications catégorielles ou salariales. Ce discours va également à l’encontre du principe d’égalité devant l’emploi, en induisant l’obligation d’apporter un plus à l’entreprise pour être embauché : il ne suffit plus d’avoir les compétences et la motivation requises, le travailleur handicapé doit, en quelque sorte, sublimer l’entreprise ! Un piège qui se referme sur l’employé et l’emprisonne dans un rôle qu’il n’a pas demandé à jouer, un piège également appliqué aux autres « minorités visibles ».

Mais la réussite de ces Semaines pour l’emploi dépend essentiellement de facteurs extérieurs qui sont encore défaillants : niveau de formation initiale, accès à la formation professionnelle tout au long de la vie, accessibilité des transports, prise en charge du surcoût du travail supporté par le salarié handicapé alors même qu’il perd prestations et allocations. La question des ressources demeure essentielle parce que la plupart des gens travaillent pour gagner plus que les allocations de solidarité nationale. D’une part, les frais professionnels supplémentaires, liés aux transports et aux aides humaines, sont peu ou pas pris en charge : on ne sait pas encore ce qui est du domaine de l’aide au travail, financé sur demande à effectuer auprès de l’Agefiph ou du Fonds d’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique, ou de la Prestation de Compensation du Handicap. D’autre part, travailler pour gagner autant, voire moins, n’est guère attrayant et cette situation perdurera tant que les modalités de cumul entre allocations et salaire n’auront pas évolué au bénéfice du travailleur.

Un sujet que le Président de la République, Nicolas Sarkozy a renvoyé à un groupe de travail, mais sur lequel il formule déjà une adaptation de son principe « travailler plus pour gagner plus » en intégrant aux ressources l’ensemble des « dispositifs d’intéressement à l’exercice d’une activité ». Après l’usine à gaz qu’est le dispositif des heures supplémentaires défiscalisées, qui déçoit les salariés et déroute les employeurs, l’Omniprésident devra faire plus simple pour les personnes handicapées. Mais on s’interroge en lisant ce qu’il écrivait le 29 octobre dernier au président de l’Association des Paralysés de France : « Je suis convaincu que la société a le devoir de leur garantir les mêmes conditions d’existence qu’aux personnes valides, tout comme elle doit offrir à ces dernières, la chance de pouvoir apprécier le courage et la volonté des personnes handicapées ». Courage et volonté, les deux vertus exemplaires du travailleur handicapé. Sarkozy/employeurs, même combat ?

Laurent Lejard, novembre 2007.

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