La France compte environ 500.000 élus, dont une proportion infime sont handicapés. On déplore que la participation électorale baisse inexorablement. Tous les analystes s’accordent pour dire que l’origine des élus n’est pas assez représentative des réalités humaines et sociologiques de notre société. Pour enrayer la lente érosion de notre cohésion nationale, réagissons en élargissant le spectre des invités à la table de l’universalisme français. Sans négliger les critères de compétences, de fidélité et de valeur, la nécessité d’un effort volontariste d’ouverture à toutes les singularités s’impose. Par expérience, 150 ans de combat féministe nous ont appris que la traduction légale des luttes pour l’évolution des droits civiques ne peut venir que d’en haut. En effet, les personnes handicapées qu’il s’agit d’inclure aux processus de décision sont les moins à même d’exercer des pressions sur le système. La volonté politique de les associer doit être impulsée par les dirigeants et être impérative.

D’où mon invitation à l’ensemble des partis politiques de prendre des mesures pour imposer cette représentation. Les personnes handicapées représentent 10% de la population française, soit 5,5 millions de personnes. Leur traitement est passé du caritatif au compassionnel, puis à une approche médico-sociale, comme des malades en transition, entre la guérison et la mort. Il est grand temps d’évacuer les préjugés et de faire changer le regard de chacun. Et depuis la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, la puissance publique prétend les considérer comme des citoyens à part entière disposant des mêmes droits et des mêmes devoirs.

L’individualisme et la dictature de la norme épuisent le « vivre ensemble » et la démocratie. Pourtant, les personnes handicapées sont parmi les plus aptes à recréer du lien social, par la vie qu’elles mènent, les difficultés auxquelles elles sont confrontées et la nécessité qu’elles ont de s’appuyer quotidiennement sur la solidarité d’autrui. Mais, allant au-delà de l’idée d’intégration, dans un mouvement de déségrégation et d’inclusion, encore faut-il que le pays reconnaisse légalement leur place effective. Et la question ne saurait se résoudre sans leur présence visible et banalisée dans les instances de fonctionnement et de représentation démocratiques. Aujourd’hui, en France, pas un seul député n’est handicapé, ni un seul sénateur, ni un maire de grande ville et trop peu d’élus locaux. En Angleterre, Gordon Brown, chancelier de l’Echiquier, est aveugle. Même en Turquie, pays pourtant souvent considéré comme en retard sur le plan démocratique, le Parlement d’Istanbul compte un député malvoyant.

Compte tenu du caractère jacobin de notre pays, chaque parti politique doit faire preuve d’audace : proposer une réforme qui impose une proportion significative de personnes handicapées sur les listes électorales en position éligible, sous peine d’amendes substantielles. Un pourcentage comparable à celui qui existe en matière d’emploi suite à la loi de 1987, renforcée par celle de 2005. L’Etat donnera ainsi l’impulsion pour amener les mentalités à évoluer en profondeur.

Réduire la question de l’accessibilité au seul fait de permettre à un fauteuil roulant de rentrer dans l’Assemblée nationale et confiner l’enjeu aux simples portes des monuments emblématiques de la démocratie semble un peu court. D’autant que même à ce niveau, d’importants efforts restent encore à faire. On se souvient qu’au moment de la discussion au Parlement de la loi de février 2005, les personnes handicapées n’ont pas pu assister aux débats dans les tribunes du public. Une salle à part dans l’Assemblée nationale avait dû être aménagée pour leur permettre de suivre les discussions. Quel symbole ! Afficher d’un côté la volonté de rendre accessibles les monuments dans les 10 ans et, de l’autre, ne pas créer les conditions d’accès aux fonctions électives. La barrière mentale est bien plus difficile à franchir que la barrière architecturale. Or, si l’on veut voir tomber la seconde, il faut d’abord briser la première. La présence physique et incontournable de personnes handicapées dans l’Hémicycle permettrait de garantir que toutes politiques publiques les prennent en compte.

J’ai soumis aux dirigeants du Parti Socialiste une proposition de réforme des statuts du parti comparable à celle qui avait été entérinée en matière de parité. J’espère que cette idée fera tache d’huile dans les autres partis politiques. Alors qu’aujourd’hui, rares sont les sujets qui font l’unanimité, la France pourrait se ressouder autour d’une réforme constitutionnelle qui sanctifierait cette avancée démocratique. Une telle disposition pourrait en outre compter parmi les idées de relance de l’Europe. La France reprendrait l’initiative au plan des droits sociaux.

Jusqu’à présent au niveau européen, l’Hexagone accusait un certain retard. La loi du 11 février 2005 a été largement inspirée de directives européennes prises depuis très longtemps contre la discrimination des personnes handicapées. Le droit dans le Nord de l’Europe, en Espagne ou en Italie a toujours été bien plus avancé que le droit français. Le texte adopté en février pourrait être une loi de rattrapage sous réserve de son application. En revanche, en prenant cette décision constitutionnelle et en se donnant les moyens de la faire appliquer, la France enverrait un signe fort à l’Europe pour que, comme l’instaurait la déclaration des droits de 1789, les hommes qui naissent libres et égaux en droits puissent le demeurer.


Hamou Bouakkaz, décembre 2005.

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