Après une vie professionnelle bien remplie, Gisèle Caumont a décidé de s’installer en Suède pour profiter de sa retraite. Sa pension ne pouvait suffire à poursuivre une vie autonome tout en rémunérant les auxiliaires de vie qui lui sont indispensables. Entre le placement dans une institution en France et une vie indépendante à l’étranger, elle a choisi un pays qu’elle connaît bien et qui est fréquemment cité en exemple. Quelle est la prise en charge sociale d’une personne ayant un handicap physique lourd ?

« La loi LSS, Lag om Stöd och Service, (Loi sur le Soutien et le Service à certains handicapés) votée en 1994 en Suède, sous l’impulsion d’handicapés actifs, devait me rendre la vie bien plus facile. Il faut rendre hommage au mouvement Independant Living qui à Stockholm et à Göteborg assurent la formation des handicapés dans leur rôle de « chefs d’équipe » et celle des assistants, et gèrent remarquablement leur coopérative. Le but de la loi LSS est « d’encourager l’égalité des conditions de vie et la pleine participation à la vie de la société », « Le but doit être de donner à la personne handicapée la possibilité de vivre comme les autres », l’activité selon cette loi est basée sur le respect du droit du choix de vie et sur l’intégrité. Les communes prennent en charge les vingt premières heures d’assistance hebdomadaires, la Sécurité Sociale assure le reste des heures. Il s’agit donc d’un crédit d’heures à utiliser selon ses besoins : jours, nuits, jours fériés. Leur paiement est fait, au choix de la personne handicapée, soit à la commune si elle gère l’aide, soit à un organisme agréé, soit à la personne handicapée elle-même si elle souhaite être employeur. Les handicapés choisissent eux- mêmes leurs assistant(e)s. Dans ce crédit d’heures, sont assurés tous les frais annexes, par exemple, gants de plastique, frais de déplacements et d’hôtels de l’assistant(e), etc.

Avant mon arrivée, on m’a invitée à écrire une sorte de « copie » où je devais me présenter, expliquer mes besoins, certes, mais surtout évaluer l’aide nécessaire pour mener la vie souhaitée. Il me fallait en quelque sorte présenter un projet de vie. Je souhaitais faire tant des choses, celles que je n’avais jamais pu réaliser par manque d’aide. Et me voilà suçant mon stylo et racontant mes passions : la musique, le chant choral, l’orgue, la peinture, la poterie, la cuisine, la nature, mes engagements politiques et sociaux… Un certificat médical suédois y fut joint. J’étais loin du formulaire Cotorep « peut » – « ne peut pas » avec la petite croix adéquate ! Je rencontrai longuement chez moi deux personnes : l’une représentant la commune et l’autre la Sécurité Sociale. A la suite de cet entretien, je reçus leur rapport intégral. Leur conclusion – pour une durée d’essai de six mois – fut 81 heures d’aide hebdomadaire. Je fis appel de cette décision sur conseil de la coopérative qui gérait mes heures car j’allais travailler, effectuer des remplacements, etc. J’obtins alors 116 heures hebdomadaires, tenant compte de la double assistance nécessaire pour l’orgue, la piscine, etc. Il était écrit que je devais avoir de l’aide tout le temps où je suis réveillée car j’avais une vie sociale et relationnelle très riche : il fallait me donner toutes les chances de la réaliser. Un rêve !

Me voilà donc découvrant chaque jour de nouvelles possibilités avec des assistantes que j’ai choisies et qui m’ont choisie. Je n’ai besoin ni de soins infirmiers, ni de kiné. J’en rencontre un de temps en temps avec l’une de mes assistantes formée en massage qui assure dans des conditions psychologiques merveilleuses, ces soins. A 63 ans, je progresse, je « récupère ». Psychologiquement aussi ! J’ajouterai que pendant une hospitalisation absolument nécessaire, mes assistantes sont restées avec moi toute la journée assurant les soins qui n’étaient pas spécifiquement infirmiers. Je n’oublierai jamais. Quant à la nuit, je dors paisible, un bracelet d’appel au poignet. En cas de besoin, même chaque nuit, je peux sonner. Une voix par interphone me demande de quoi j’ai besoin et la « patrouille de nuit » (deux aides- soignantes circulant en voiture) passe. Certes les délais d’attente varient entre dix minutes et une heure mais quelle sécurité ! Et tout cela ne me coûte rien. Je paie des impôts sans exonérations et cela me paraît juste.

Je veux croire que vont cesser, en France, les discours généreux mais vides quant aux crédits alloués, au profit d’actes clairs et forts. Ces trois mots, « Liberté, Égalité, Fraternité » doivent reprendre sens. Je serais heureuse et fière si, un jour, bientôt, je pouvais les entendre chanter au plus profond de mon coeur dans ma langue et non plus seulement en suédois ».

Gisèle Caumont, novembre 2001.

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