Sophie Massieu est l’animatrice des dîners sans chandelle, émission de La Cinquième baptisée « Le goût du noir ». Deux personnalités qui ne se connaissent pas dînent ensemble et discutent dans le l’obscurité la plus complète, sous l’oeil de caméras infrarouges. Les dialogues se déroulent dans l’obscurité : « Les langues s’y délient, les mains explorent leur environnement, l’écoute se fait attentive. Toutes les sensations s’aiguisent » explique Sophie. Cette obscurité est loin d’être une mise en scène anodine. Le noir effaçant tous les artifices de la vue, il modifie considérablement les échanges et les relations qui s’y tissent. Sophie, qui le sait mieux que quiconque, le démontre ici admirablement.

Née il y a vingt-six ans dans un petit village au nord de la presqu’île du Cotentin, Sophie est atteinte de rétinite pigmentaire. Dès sa naissance, elle perçoit à peine l’ombre ou la lumière. Ses parents s’inquiètent du sort de leur enfant, mais ils ont le bon sens terrien. Ils élèvent leur fille unique le plus naturellement du monde et l’accompagnent dans toutes les découvertes de l’enfance. Elle joue dans le jardin, pédale sur son vélo, saute à la corde, aide sa maman aux tâches ménagères… Et à Cherbourg, une vieille dame aveugle se réjouit de la recevoir toutes les semaines pour lui apprendre le Braille.

Quand arrive l’âge de la « grande école », Sophie sait déjà lire et écrire. Elle est directement accueillie en CE1. Quittant le giron familial pour l’internat, elle essuie rapidement ses larmes et profite pleinement d’une des premières classes d’enfants handicapés intégrées dans une école ordinaire. Et Sophie raconte avec enthousiasme et un profond respect tout ce qu’elle doit à sa principale institutrice : le goût du travail, de la lecture, de l’écriture, celui du jeu. Elle se révèle une brillante et pétillante écolière. Après trois années avec cette jeune institutrice inventive, Sophie a acquis des bases qui permettent d’aller loin ; elle part alors à Paris, à L’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA) d’où elle sort ensuite pour intégrer le lycée ordinaire. Sa mère reste à ses côtés et soutient ses choix : « Il faut y aller! »

Sophie découvre alors le milieu ordinaire auquel elle était peu préparée. Elle travaille sans relâche et reste la bonne élève que l’on avait pressentie. Elle entre en faculté d’Histoire et des Sciences Politiques, elle décroche un DEA d’Histoire du Droit, intègre le Centre de Formation des Journalistes en 1998. Bilan : 25 années d’études assidues, de lectures, de recherche et de réflexions approfondies. Ces années n’ont pas toujours été roses ! A 13 ans, Sophie est une adolescente « à fleur de peau », focalisée sur sa différence. Elle réagit vivement à toutes les barrières, souvent humaines, qui se dressent sur son chemin. Brillance et handicap ne se conjuguent pas sans quelques gifles qu’il faut apprendre à digérer, mais qui vous façonnent. Elle parvient à maintenir son cap, à ne pas se mettre au diapason : au contraire, elle cultive son individualité, sa spécificité. « Une fois le handicap intégré, il fait partie de nous et l’on peut vivre avec », assure- t-elle.

Elle dégage alors quelques-uns de ses meilleurs atouts : concentration, justesse, sobriété et tente aussi d’éviter le rapport de charité ou d’assistanat, de dédramatiser sa déficience. « Non, la déficience visuelle n’est pas incompatible avec une vie amicale, une vie affective, une vie de couple, même si les clins d’oeil sont invisibles ! ». Et puis, en animant ces dîners dans le noir, Sophie nous montre combien la vie est là, même quand la vue n’y est pas !

Véronique Gaudeul, avril 2001.

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