Ministre des Sports du Gouvernement Jospin (1997-2002), Marie-George Buffet fut la première à assister à des Jeux Paralympiques, ceux de Sydney 2000. Saluée à l’époque comme une reconnaissance officielle du handisport en France, cette participation a contribué à mettre en lumière les sports pratiqués par des personnes handicapées et à secouer les préjugés. Accompagnée du co-président de ce comité, Stéphane Diagana, elle a remis début décembre à l’actuelle ministre, Amélie Oudéa-Castéra, le premier rapport du Comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport, et répond ici à quelques questions sur la place des sports dans notre société.

Stéphane Diagana, Amélie Oudéa-Castéra et Marie-George Buffet ©ministère des Sports

Question : Vous avez été la première parmi les ministres des Sports à considérer le handisport comme étant du sport. Quelle évolution avez-vous constaté depuis sur la place des parasports au sein du mouvement sportif ?

Marie-George Buffet : Je pense qu’il y a eu un moment assez décisif, les Jeux de Londres en 2012, où des gens ont découvert des sports, des pratiques sportives, avec la beauté du geste, l’enthousiasme que cela pouvait déchaîner. Mais si vous mettez de côté les Jeux Paralympiques, il y a très peu de visibilité de la pratique des parasports dans le quotidien des hommes et des femmes. Cette pratique apparaît comme à part, réservée à des personnes particulières touchées par le handicap et qui n’est pas vécue par nos concitoyens comme une pratique sportive parmi d’autres. Cela freine certainement, comme l’a dit Marie-Amélie Le Fur [Présidente du Comité Paralympique et Sportif Français NDLR], les personnes touchées par le handicap d’aller plus massivement dans les clubs, notamment les jeunes. On a encore un enjeu de visibilité. Avec cette particularité que le basket en fauteuil, ce n’est pas tout à fait le basket, c’est évident, le rugby en fauteuil ce n’est pas le rugby, c’est évident, mais c’est une autre pratique du rugby et du basket et elle peut soulever les mêmes émotions. Pour ça, il faut que les gens en voient beaucoup plus qu’aujourd’hui.

Question : L’un des obstacles pour la pratique des parasports, c’est la nécessité d’utiliser des équipements spécifiques qui coûtent cher et sont peu financés par l’argent public. Quand vous étiez ministre des Sports, comment avez-vous abordé cette question ?

Marie-George Buffet : Il n’y avait pas eu de changement fondamental du rapport du ministère aux pratiques handisports. Il y avait une reconnaissance liée au fait que, pour la première fois, un ministre avait assisté aux Jeux Paralympiques [à Sydney en 2000 NDLR]. Il y avait eu des relations beaucoup plus suivies avec la Fédération Française Handisport, et donc des subventions. Mais il n’y avait pas eu des modifications telles qu’elles auraient marqué l’histoire du parasport. On l’a pris en compte, mais on n’a pas fait des choses révolutionnaires, il faut être modeste.

Question : Il ne suffisait pas qu’une ministre considère que le handisport, c’est du sport, pour que ce handisport soit financé ?

Alors président de la FFH, André Auberger porte la torche paralympique de Sydney 2000

Marie-George Buffet : On a fait les efforts financiers qu’on a faits, mais je veux dire qu’il n’y a pas eu un bouleversement du rapport du pouvoir public avec le parasport à cette époque-là. J’ai eu de très bons rapports avec le président de la Fédération Française Handisport, André Auberger. On a beaucoup travaillé ensemble, c’est vrai, mais ça n’a pas modifié intégralement les choses.

Question : Les parasports semblent épargnés par les dérives essentiellement liées aux enjeux commerciaux et aux querelles de pouvoir au sein d’une partie du mouvement sportif, mais dans le cadre de la préparation paralympique les athlètes sont soumis à une forte pression pour se professionnaliser à l’image du sport valide, au risque d’aggraver leur handicap. Comment peut-on aujourd’hui concilier business et santé des sportifs ?

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Marie-George Buffet : C’est tout le sens des propositions que fait le comité. Au-delà des délits que constituent la violence sexiste, la violence sexuelle, les discriminations, les injures raciales, etc., il y a aussi dans la pratique sportive ce que j’appelle la violence ordinaire. À première vue, elle ne relève pas d’un délit codifié, mais la violence ordinaire pour obtenir la performance, le résultat, se traduit par un non-respect du bien-être physique ou psychique, j’insiste sur psychique, de l’athlète. C’est d’autant plus vrai avec les enjeux médiatiques, financiers mais aussi politiques. La pression commence pour que la France sorte des JO 2024 avec tant de médailles, avec ceci, avec cela. Enjeu financier, enjeu médiatique et aussi enjeu politique de la performance, on peut arriver en effet à des violences ordinaires dans les méthodes d’entraînement et d’encadrement. C’est vrai dans le sport, et cela peut être vrai aujourd’hui et demain dans le parasport parce que petit à petit, et on ne peut que s’en féliciter, le parasport va prendre plus d’importance dans nos sociétés. Il n’est pas à l’abri de connaître ce qu’a connu le sport. Lutter contre ces violences ordinaires demande à la fois une révision de fond en comble des formations, de tout ce qui concerne le monde de l’entraînement et de l’encadrement dans le mouvement sportif. On ne peut pas en rester à la transmission de techniques d’une génération à l’autre chez les entraîneurs, il faut intégrer le bien-être des individus. Et puis il faut un système de contrôle et de sanction efficace. Cela demande que le ministère lui-même et l’inspection disposent de plus de moyens humains pour effectuer ces contrôles.

Question : Justement, le discours du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (JOP) a évolué, il les présente essentiellement comme un spectacle sportif ; la compétition apparaît reléguée derrière un enjeu commercial et spectaculaire. Vous qui avez une réflexion d’éthique sportive, qu’attendez vous de ces Jeux ?

Des paralympiens de l'équipe de France présentent les tenues qu'ils porteront lors de Jeux de Paris

Marie-George Buffet : Je n’emploie pas le mot « héritage » parce que cela ne veut pas dire grand-chose. L’héritage ce sera les bâtiments rénovés et construits, les lignes de transport, l’héritage matériel. Moi qui suis de la Seine-Saint Denis, je m’en félicite, c’est bien. L’héritage des Jeux, il faut qu’il se construise. Par exemple, est-ce qu’on se saisit de ces Jeux pour lancer une grande consultation du mouvement sportif, des élus territoriaux, sur le développement du sport dans notre pays dans la prochaine olympiade ? Est-ce qu’on lance une campagne pour se dire que pour la prochaine olympiade 2024-2028 on veut 1% du budget de l’État pour le sport en 2028 ? Est-ce qu’on profite des Jeux Paralympiques pour mettre la pression sur les médias publics pour une visibilité plus importante du parasport ? C’est-à-dire, est-ce qu’on se saisit d’un événement qui se passe dans notre pays pour qu’il transforme, améliore l’exercice du sport qu’il soit para ou pas ? Or je ne sens pas pour l’instant cette volonté. Je crains que les Jeux se terminent et que la vie reprenne comme d’habitude, que nos clubs n’aient pas les moyens de fonctionner, que les fauteuils de sport ne soient pas financés, que les équipements ne soient pas remis aux normes pour être accessibles à tous et toutes. Si les Jeux sont un spectacle, à la fin du spectacle on passe à autre chose, on rentre chez soi. Moi je suis plutôt dans l’idée de se saisir de ces Jeux pour passer une étape dans le développement du sport et du parasport dans notre pays.

Question : Le Gouvernement a déjà répondu en annonçant une baisse du budget du ministère des sports dès 2025…

Marie-George Buffet : Après les Jeux, oui !

Question : Vous aurez relevé que le Président de la République porte l’exigence que la France se classe dans le top 5 des nations sportives et handisportives. Quel regard portez-vous sur ce qui apparaît être un enjeu politique, voire une politisation du handisport ?

Marie-George Buffet : Je me rappelle que le Président de la République avait dit [le 17 novembre 2022 NDLR] à propos de la Coupe du monde de foot au Qatar qu’il ne faut pas mêler le sport et la politique. Je n’ai pas ce discours, je pense que le sport est un objet politique. Je pense qu’un gouvernement, un parlement, devrait pouvoir débattre régulièrement des politiques publiques en matière de développement du sport et du parasport. Le sport est un enjeu politique : je regrette que, trop souvent, on considère que c’est un loisir dont on ne va pas perdre du temps à discuter à l’Assemblée Nationale ; des députés spécialistes s’en occupent, on passe à autre chose. Moi je pense qu’il faut débattre, qu’il y a plusieurs orientations possibles, que les différents partis politiques n’ont pas les mêmes choix. C’est intéressant de discuter : je n’ai pas de problème pour parler politique quand je parle du sport. Après, c’est la récupération politicienne qui est dangereuse. C’est de dire aux sportifs « il faut que vous soyez dans les cinq premiers parce que ça montrera que la France est un pays qui rayonne, est une nation sportive », c’est tout ce système de récupération de l’événement sportif. On l’a vu à la Coupe du monde de foot, je me rappelle un dessin dans l’Équipe où Kylian Mbappé sort d’un avion avec le président de la République sur ses épaules et disant à Emmanuel Macron : « Est-ce que vous pouvez me lâcher maintenant ? » Ce système de récupération politique n’est pas un monopole national : voyez comment certains états autoritaires utilisent aujourd’hui l’attribution de grands événements sportifs pour rayonner au plan international. C’est dangereux, il faut se battre contre ça. Le discours d’un politique aujourd’hui en France devrait encourager nos athlètes, inciter les jeunes à faire du sport parce qu’ils auront vécu quelque chose pendant ces JO, de se saisir les Jeux pour que le sport soit beaucoup plus présent dans notre société, que plus d’hommes, de femmes et de filles aient accès au sport, et que l’on ait une autre vision, un autre rapport au sport dans notre société.

Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2024.

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