Depuis 16 ans, Aurélie Joron propose des cours au sein de Samsara Yoga à Saint-Brice-sous-Forêt, dans le Val d’Oise, pour les personnes valides ou handicapées. « En fait, dès que j’ai commencé à enseigner j’ai eu des demandes pour le handicap. La première concernait une personne atteinte d’ataxie de Friedreich qui était d’un âge avancé et ne pouvait pas sortir de chez elle. J’ai commencé à m’intéresser au yoga sur chaise, une méthode créée par Jeannot Margier. Il s’adresse aux personnes qui n’ont plus de mobilité des jambes, ou qui ont fait un accident vasculaire cérébral. On fait travailler la symétrie, et tout le corps, du bout des doigts jusqu’au bout des orteils, au rythme de chacun. L’idée est de gagner de l’autonomie. » C’est essentiellement avec des personnes autistes ou handicapées mentales qu’elle travaille. « On soutenait localement Entraide Autisme et l’association m’a demandé de donner des cours, ça a été un autre univers. J’étais arrivé avec mes cours de yoga enfants, ça ne marchait pas. J’ai donc dû développer tout un cursus autour de l’enfant, me former à l’autisme, et en parallèle j’ai eu une demande d’un centre de jeunes filles en situation de handicap mental. »
Aurélie Joron pratique le hatha yoga, forme physique de yoga postural qui amène à la méditation, à un temps calme : « Il apporte un rapport positif au corps, parce qu’il faut rappeler que l’Organisation Mondiale de la Santé demande de faire une heure quotidienne de sport, et je ne suis pas sûre qu’en centre toutes les personnes en situation de handicap puissent faire cette heure de sport chaque jour. De plus, je constate, sur tous les groupes confondus, qu’avec le temps et l’âge, le surpoids se développe, entraîne une courbure lombaire, abîme les genoux. Du coup, pour certains, le sport n’est pas facile, l’activité sportive en tant que telle n’est pas toujours accessible. Dans le yoga, ils ont en fait un retour positif physique d’eux-mêmes, et c’est très important parce que ça développe la confiance, et la confiance développe aussi la joie pour eux. D’autre part, ils travaillent sur leur corps, purement de manière musculaire : on renforce des muscles, on maintient une énergie et l’équilibre. Parce que plus on avance dans l’âge, plus on perd l’équilibre, pour tout le monde. Donc ils gardent une certaine forme de souplesse, et certains découvrent leur corps dans un exercice qui va être agréable ; dans les limites autorisées du corps, on les aide à aller de plus en plus loin. »
Aurélie Joron a adapté sa pratique pour prendre en compte les problèmes de motricité, de coordination, de proprioception : «Je lève le bras droit, ils vont lever le bras gauche, sans modèle ils ne peuvent pas interagir. Du moment que je le sais, je peux adapter mon cours et mettre en face la bonne personne. J’ai créé une méthode pour l’autisme en faisant dessiner des pictogrammes pour les enfants, parce qu’on n’avait pas de matériel et que pour les enfants qui fonctionnent avec des images c’était très compliqué. Après on s’est muni d’un minuteur, on a découvert des jeux, on a découvert le terme de renfort, je me suis initiée à la méthode ABA (Applied Behaviour Analysis), j’ai suivi un Diplôme Universitaire en portant mon attention sur la méthode inclusive du yoga. »
« Une séance de hatha-yoga se décompose en 3 étapes : une phase d’accueil pour poser le rythme de l’extérieur vers l’intérieur, c’est-à-dire prendre conscience du souffle, ensuite il y a des postures et enfin la méditation. Ce qui est important, c’est vraiment cette phase où on fait le lien entre l’extérieur et l’intérieur où on fait un échauffement qui est un rituel, et dans ce rituel déjà, ils se posent : le corps reconnaît le tapis, la respiration s’allonge au fur à mesure des séances. Après, les postures sont connues pour leurs bienfaits, et en utilisant certaines postures on crée des ouvertures, de l’allongement respiratoire et plus vous allongez les respirations, plus vous baissez un peu le rythme cardiaque, c’est le principe de la cohérence cardiaque, et plus vous baissez le rythme cardiaque, plus vous allez vers un état méditatif. On obtient du calme intérieur. »
Les séances avec personnes handicapées mentales sont différentes. « Une fois que la confiance est établie, on peut les emmener beaucoup plus loin. A force, on les connaît et on sait quoi utiliser pour leur dire « allez, tu peux le faire ! » ou s’il faut utiliser un jeu. Il faut accompagner, même physiquement, à lever un bras ou une jambe, parce que c’est compliqué, ou que le jeune ne sait pas forcément où ça se trouve dans son corps, et ça les détourne : j’arrive à avoir des vrais temps calmes. Les éducateurs sont les plus étonnés, on obtient des temps de calme de 5 à 10 minutes de jeunes qui sont en paix avec eux-mêmes. »
Qu’en pense Erwan, 9 ans ?
Résident à Saint-Brice, il pratique chaque mercredi pendant une heure, parce qu’il était invité, que cela lui a plu : « Ce n’était pas un choix de ma part. C’est cool, le yoga. Je fais des postures, le chat, le poisson, le cobra – par terre, on lève le ventre puis la tête, puis on s’appuie sur les mains. Ça me fait du bien, on contracte les muscles, ça m’aide à dormir et à avoir plus de force en élevant des parties du corps. Je contrôle ma respiration, on fait des jeux pour choisir la posture qu’on garde quelques secondes ou minutes. J’apprends quelque chose. »
Et Hermine, 21 ans ?
Également résidente de Saint-Brice, elle pratique dans le cadre d’un partenariat avec Entraide Autisme. « Je fais du yoga depuis 5 ans. J’aime bien la posture du chat – on se met à 4 pattes et on lève le dos – le poisson allongé sur un tapis. Ca me fait faire du sport, dans le calme. J’en ai besoin, ainsi que de concentration. » Comme Erwann, elle pratique généralement le mercredi pendant une heure. « Avant, je faisais de la danse orientale, que je poursuis. Le yoga m’aide à gérer les émotions, ça me calme. On fait les postures à deux, c’est agréable. On a fait un stage pendant trois jours, en octobre, dans un château près d’Ermont en logeant sur place. C’était une coupure, ça m’a plu. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2023.