Il aura fallu attendre la 7e édition des Jeux de la Francophonie, qui se déroulent du 7 au 15 septembre 2013 à Nice, pour que le handisport soit convié. « Ces jeux sont organisés dans un esprit de solidarité, de liberté et d’excellence, explique Mahaman Seriba, Directeur du Comité International des Jeux de la Francophonie (CIJF). Nous avons été officiellement sollicités depuis les Jeux de Beyrouth [2009] par les organisations du handisport. Le secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf, nous a demandé de les intégrer dans les Jeux. » Pour uniquement de l’athlétisme, au terme de la sélection effectuée par le CIJF en collaboration avec le Comité International Paralympique (IPC), et finalement trois compétitions masculines : 400m fauteuil roulant (T54), saut en longueur malvoyants (F13) et lancer de disque handicap moteur (F32/33/34). « On a été obligé de supprimer les trois épreuves féminines parce qu’il n’y pas eu assez d’inscriptions », déplore Mahaman Seriba.

La compétition handisport devrait voir s’affronter 13 des 55 membres participants (Canada, Canada Québec, Centrafrique, France, Maroc, Sénégal, Togo, Egypte, Bénin, Egypte, Fédération Wallonie-Bruxelles, Madagascar, Niger) à ces Jeux à la fois culturels et sportifs organisés tous les quatre ans par l’OIF, avec de grandes disparités en terme de préparation. « Chaque État développe sa stratégie pour la promotion de chaque discipline sportive ou culturelle, prépare ses concurrents, ajoute Mahaman Seriba. Ce travail n’est pas fait au niveau de la Francophonie. » Et de regretter que peu de pays participent à la compétition handisport : « Le sport, notamment en Afrique, est un moyen important d’intégration sociale. Si les handisportifs peuvent avoir du matériel, c’est une très bonne chose. Le handisport africain est fortement handicapé par le peu de matériels, c’est le plus grand parent pauvre du sport africain. Si on sait qu’un engin permet de faire une performance et que ces handisportifs ne l’ont pas, la compétition est inégale, il n’y a même pas de compétition. Les Africains qui font de la compétition au plus haut niveau vont dans les pays développés parfaire leur préparation. C’est une problématique générale de l’Afrique. Les matériels de qualité, de haute technologie, sont très coûteux. On veut aligner les nations dans des compétitions, mais tout le monde sait que les conditions sont très différentes, entre des sportifs qui mangent trois par jour et d’autres une seule… Ça dépasse l’aspect du matériel, il y a aussi l’entrainement, tout le processus pour parvenir à la compétition : on est loin de l’égalité des chances. »

Les footballeurs togolais ont « mangé » le budget sportif !

Bien qu’ayant inscrit un handiathlète, le Togo ne participera finalement pas à la compétition handisport, ni même valide. Le président de la Fédération Togolaise pour le sport des personnes handicapées, le docteur Abass Djobo, explique qu’un camp d’entrainement devait avoir lieu à Dakar (Sénégal) dans le cadre des Jeux de l’Avenir pour Personnes Handicapées d’Afrique (JAPHAF) : « Le président du Comité International des jeux de l’avenir a tenté de joindre en vain les autorités du ministère togolais des sports pour pouvoir faire participer notre pays à ce camp d’entrainement, il ne les a pas eues. Néanmoins, notre fenêtre est ouverte pour cette participation. Mais on se pose des questions. D’abord on n’a pas les minima. Chaque jeu à ses règles; pour le Togo, il est retenu la course fauteuil en T54 pour les hommes et le saut en longueur F13 pour les femmes. »

Ne connaissant pas les raisons pour lesquelles ces disciplines ont été choisies, car les handiathlètes togolais n’atteignent pas les minima requis dans ces disciplines, le président de la fédération a fondé son espoir sur un des volets des termes de référence de ces jeux qui demande d’envoyer un ou deux athlètes. « Nous sommes en négociation avec les responsables des jeux de l’avenir des personnes handicapées qui peuvent peut-être nous appuyer pour envoyer au moins un athlète au 400m moteur. On ne peut pas aujourd’hui dire si nous participons ou non. La fenêtre a été ouverte, on a envoyé les performances de cet athlète et on attend la suite. »

Mais l’espoir du président de la fédération handisport de voir le drapeau togolais flotter dans le ciel de la Côte d’Azur ne va pas se réaliser : Eloi Salokoffi, Directeur national des sports du Togo qui devait mener la délégation togolaise, est catégorique : « Pour les Jeux de la Francophonie à Nice, le Togo ne sera pas présent. L’Etat, pour cette année, a suspendu les subventions à toutes les fédérations sportives. La participation de l’équipe nationale de football à la dernière Coupe d’Afrique des Nations, en Afrique du Sud 2013, a consommé tout le budget alloué à tous les sports et le ministre de l’Economie et des Finances, Adji Otèth Ayassor, a tenu à rappeler cela à tous les responsables des fédérations sportives à travers une note circulaire. » Le reste du budget doit être consacré au dernier match que le Togo va livrer à Lomé le 8 septembre contre la République Démocratique du Congo. Ce qui gêne quelque peu Eloi Salokoffi vis-à-vis des Jeux de la Francophonie : « Nous sommes en train de voir comment nous allons nous y prendre pour présenter nos excuses à l’OIF »…

Sans le Cameroun…

La délégation camerounaise ne comportera pas d’athlète handisport. En effet, dans la plupart des compétitions internationales auxquelles le pays a pris part, il a fréquemment été difficile de présenter des handisportifs, notamment lors des Jeux Africains, malgré la volonté et la détermination des handiathlètes, parfois même après une longue préparation.

« Le Gouvernement, à travers le Ministère des Sports et de l’Education Physique (MINSEP), tire les sports pour personnes handicapées vers le bas, au lieu de les promouvoir », critique Jean Marie Aleokol Mabieme, Président de la Fédération Camerounaise de Sports pour Déficients Intellectuels (FECASDI). Pourtant, certains pays africains comme le Nigéria et l’Afrique du Sud ont remporté des éditions de Jeux Africains grâce aux médailles glanées par leurs athlètes handicapés.

Toutefois, il convient de rappeler qu’au Cameroun, la loi du 15 juillet 2011 rend obligatoire la pratique des activités physiques et sportives, notamment dans les institutions de réadaptation des personnes handicapées. Le même texte crée le Comité National Paralympique Camerounais et préconise la création des fédérations sportives selon les ordres de handicaps. L’ancienne Fédération Camerounaise des Sports pour Handicapées (FECASH) a été restructurée en mars 2011 en quatre organisations par type de handicap moteur, visuel, auditif et intellectuel. Une réorganisation encore inachevée : « Nous n’avons été conviés à aucune réunion préparatoire des Jeux de la Francophonie, en conséquence, nous ne nous y sommes pas préparés, commente Hervé Ngoyo Ngon, Président de la Fédération Camerounaise de Sports pour Déficients Physiques (FECASDEP). Même si l’on nous y conviait, nous devrions faire de la figuration, car en ce moment, nous n’avons pas encore d’athlètes classifiés. Nous sommes en pleine structuration. Il y a des disciplines dans lesquelles nous sommes déjà assez avancés, mais qui sont encore pratiquées seulement au niveau national et pas en international. Ce n’est qu’à partir de l’année prochaine que nous pourrons espérer affronter l’international. »

Mais selon Norbert Tsoungui, Président de la Fédération Camerounaise de Sports pour Déficients Physiques (FECASDEV) et Vice-président du Comité National Paralympique Camerounais, l’absence du handisport camerounais aux Jeux de la Francophonie relève des pouvoirs publics : « Nous ne prendrons pas part à ces Jeux par la seule volonté du MINSEP qui n’a pas voulu retenir les disciplines pratiquées par les déficients visuels. Pourtant, nous faisons de l’athlétisme dans toutes ses composantes et nous sommes parmi les meilleurs d’Afrique. »

Déception également chez les sportifs sourds : « La non-participation des athlètes sourds à cette compétition vient du Comité d’organisation des Jeux de Nice qui a limité les disciplines handisports devant prendre part, déplore Jean-Pierre Pemha, Président de la Fédération Camerounaise de Sports pour Sourds (FECASSO). Et celles retenues, selon moi, ne sont pratiquées que par les déficients moteurs. »

Et au-delà de la jeunesse des quatre fédérations, le grand problème du handisport demeure son financement : « Même si l’on venait à être qualifié, nous n’aurions pas de moyens financiers pour la prise en charge de la préparation de nos athlètes », constate le Président de la FECASDI. « Il n’y a pas de logistique d’entrainement appropriée, complète Constance Nchifi, entraîneur national de cette fédération. D’ailleurs nous ne disposons pas de matériels propres à la fédération, chaque athlète ou joueur vient avec son outil. Les infrastructures publiques sont inadaptées, vous n’avez qu’à voir où nous nous entrainons. » En effet, les clubs de la FECASDEP (haltérophilie, athlétisme en fauteuil roulant, lancer de disque, etc.) s’entrainent sur la poussière de l’esplanade du Stade Omnisport de Yaoundé, faute de lieu approprié. Un dénuement confirmé par le président de la FECASSO : « Depuis sa création, nous n’avons pas encore reçu un seul centime de l’Etat, nous fonctionnons avec les cotisations des membres qui ne peuvent pas nous permettre d’acquérir les matériels spécifiques de sports pour sourds qui coûtent extrêmement cher. »

Et celui de la FECASDI affirme faire fonctionner la fédération avec son salaire de cadre de la Fonction publique… Le Président de la FECASDEP ne manque pas de saisir l’opportunité : « C’est peut-être l’occasion pour moi de lancer un appel à la générosité du mouvement sportif national et international, pour un soutien surtout en matériels d’entrainement. » Un appel auquel le Comité Paralympique et Sportif Français a déjà répondu en co-organisant un stage de formation des cadres et entraineurs à Dakar (Sénégal) en décembre 2012, puis en remettant, le 25 juillet dernier, six fauteuils roulants d’athlétisme aux Comités Paralympiques de République Centrafrique, du Bénin, du Sénégal, du Rwanda et du Cameroun. La FECASDEP recevra prochainement ce fauteuil roulant.

Pouvoirs publics absents.

Au Ministère des Sports du Cameroun, aucune information ne filtre. Il faut reconnaitre que le manque d’attention des autorités à l’endroit des sports, à l’exception notable du football, est la règle au Cameroun. Les Présidents des fédérations sportives considèrent globalement que l’Etat ne s’intéresse à une fédération que lorsque son équipe nationale remporte un trophée…

A titre d’illustration, l’athlète Charlotte Mbango [naturalisée française en 2010 au terme de multiples démêlés avec le pouvoir sportif camerounais NDLR] n’a été connue qu’après sa première médaille d’or aux Jeux Olympiques d’Athènes en 2004. Il est arrivé que des équipes nationales participent à des compétitions internationales avec le seul soutien des membres de la fédération, d’autres ont manqué des rendez-vous internationaux faute de moyens financiers.

Mais pour les athlètes eux-mêmes, il faut garder l’espoir : « Malgré les difficultés, il faut rester positif, nous nous préparons encore, très prochainement nous serons performants, l’Etat ne pourra plus faire sans nous, » exprime l’haltérophile Mimosette Ngamsi. Ainsi, même si les sports pour personnes handicapées semblent ne pas bénéficier de beaucoup d’attention, il faut reconnaitre que d’autres disciplines en souffrent également.

« C’est un problème que l’on rencontre dans tous les pays africains, constate Mahaman Seriba, directeur du CIJF. Il n’y a pas assez d’argent, et le peu qu’il y a, on l’affecte à des choix précis, mais pas aux sportifs handicapés qui n’ont pas de matériel de qualité, qui ont peu de chance de rapporter des médailles. Ces sportifs sont les moins pourvus, les moins nantis. Ce n’est pas seulement une problématique sportive, elle concerne l’ensemble des personnes handicapées dans les différentes sociétés africaines où elles sont plus pénalisées. Les Jeux de la Francophonie, avec leurs valeurs de diversité, de solidarité et de liberté s’efforcent d’adresser un clin d’oeil au continent, en montrant que le handisport existe. Pour les éditions futures, il y aura un gros effort à faire avec les fédérations pour, avec le prétexte de la Francophonie, développer le sport des personnes handicapées. » Une idée partagée par Gilles Johannet, délégué général du Comité Paralympique et Sportif Français : « L’idée, c’est qu’il faut exister, saisir des opportunités. Faire simple, accessible, montrer qu’on a toute notre place. » Et pas uniquement auprès des pays pauvres : hôte des 7e Jeux de la Francophonie, la France concourra en handisport avec… deux athlètes !


Etienne Mbogo (Cameroun), Ali Assoumaïla (Togo)
et Laurent Lejard (France), septembre 2013.

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