Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 11 septembre 2019 considère qu’une discrimination indirecte fondée sur le handicap peut être relevée en application de critères de sélection de salariés licenciés pour cause économique, quand ces derniers sont basés sur la productivité, la polyvalence et l’absentéisme.

Il se trouve en effet qu’une société de droit espagnol a adopté quatre critères de sélection en vue d’opérer le licenciement pour motif économique de certains de ses salariés, dont un qualifié de « travailleur particulièrement sensible à certains risques ». Les critères avaient été les suivants : être affecté aux processus d’assemblage et de mise en forme de tubes en matière plastique, productivité inférieure à 95%, moindre polyvalence dans les postes de travail de la société et taux d’absentéisme élevé.

L’équivalent de notre conseil de prud’hommes français, à savoir le Tribunal du Travail numéro 3 de Barcelone (Espagne), évidemment saisi par une salariée licenciée pour cause économique de la société espagnole, a saisi la Cour de Justice Européenne d’une demande de décision préjudicielle le 30 mai 2018. A ce stade, quelques rudiments de droit et/ou de procédure doivent être rappelés.

La hiérarchie des normes et leur interprétation

Les dispositions européennes ont une valeur supérieure aux règles du droit espagnol, français etc., dès lors que l’État saisi d’une demande fait partie de l’Union Européenne. Il revient donc aux juridictions nationales des États membres de l’Union Européenne d’appliquer le droit primaire (traités) et les actes de droit dérivé (règlements, directives et décisions) de l’Union Européenne. C’est ainsi que la directive du conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, prime les dispositions du droit espagnol, et a fortiori du droit français.

Toujours est-il que, dans le cadre de l’application du droit européen, le renvoi préjudiciel est la procédure qui permet à une juridiction nationale d’interroger la CJUE sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union Européenne, dans le cadre d’un litige dont elle est saisie sur son territoire. Il s’agit donc pour la juridiction nationale de poser une question au juge européen, lorsque la résolution d’un litige qui lui est soumis est conditionnée par l’interprétation d’une norme du droit de l’Union.

C’est dans ce contexte que le Tribunal du Travail de Barcelone a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle, à savoir si « la notion de travailleur particulièrement sensible à certains risques » au sens de l’article 25 de la loi espagnole 31/1995 est assimilable à celle de « handicap » au sens de la directive 2000/78/CE. La véritable question est en réalité celle de savoir si les critères de sélection retenus pour licencier un « travailleur particulièrement sensible à certains risques » méconnaissent directement ou indirectement, le droit à l’égalité de traitement des personnes handicapées reconnus par la directive 2000/78.

La portée de la décision

La haute Cour a jugé que trois des quatre critères de sélection étaient susceptibles d’être discriminatoires indirectement, dans l’hypothèse où la salariée licenciée pouvait être considérée comme étant atteinte d’un handicap, au sens de la directive 2000/78. Le critère tenant à l’affectation aux processus d’assemblage et de mise en forme de tubes en matière plastique est en effet objectif et neutre.

Cependant, le second critère, à savoir la productivité inférieure à 95%, peut avoir un lien indirect avec l’atteinte physique du salarié considéré. Quant au troisième critère de sélection lié à la polyvalence dans les postes de l’entreprise, l’aptitude à la polyvalence avec toutefois certaines limitations est nécessairement conditionnée indirectement par le handicap. Le handicap a en effet nécessairement limité les postes où la salariée pouvait être affectée. Enfin, le taux d’absentéisme de la salariée concernée peut indirectement être lié à son handicap puisque l’absence à l’emploi peut s’expliquer par le temps de présence aux soins.

Cependant, la Cour a précisé que cette discrimination indirecte est à nuancer avec les aménagements raisonnables au sens de l’article 5 de la directive 2000/78 afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées.

Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), février 2020.

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