Catherine Meimon Nisenbaum, avocate à la Cour, spécialisée dans l'indemnisation du préjudice corporel.

La 2e Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu, le 19 février 2004, un arrêt essentiel en matière d’aggravation qui va permettre, si cette jurisprudence se confirme, de pouvoir enfin tenir compte de l’évolution de la vie sociale, situationnelle des victimes, et non uniquement de leur état séquellaire pour apprécier l’aggravation d’un dommage corporel. Il convient de rappeler qu’une victime peut toujours, même après une transaction ou une décision de justice définitive, solliciter, dans le délai de la prescription, la réouverture de son dossier afin d’obtenir l’indemnisation d’une aggravation de son état de santé.

Dans cette affaire, une jeune femme âgée de 18 ans a été victime d’un accident de la circulation en avril 1989 au cours duquel elle fut gravement blessée : traumatisme crânien grave. En février 1994, le Tribunal de Grande Instance de Paris rendait un jugement définitif et, statuant sur la liquidation du préjudice, lui allouait pour ses lésions personnelles au titre de la tierce personne trois heures de ménage par jour et une aide à raison de trois heures par quinzaine. En mars 1995, cette victime mettait au monde un enfant. En juillet 1995, elle assignait le responsable de son accident de la circulation et son assureur devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Rouen, en référé, et sollicitait une nouvelle expertise judiciaire, à l’effet de déterminer les séquelles dont elle restait atteinte suite à l’accident et qui l’empêchait de s’occuper de son enfant. Elle demandait donc que soient évaluées les heures supplémentaires de tierce personne dont elle avait besoin consécutivement à la naissance de son enfant.

Les experts judiciaires déposaient leur rapport et concluaient qu’il n’y avait pas aggravation de l’état séquellaire de la victime, mais qu’elle n’était pas en l’état, en raison de son handicap, d’élever seule son enfant et qu’à cette fin il lui fallait trois heures d’aide ménagère supplémentaires tous les jours, jusqu’à ce que l’enfant soit admis en C.M 2. Devant le Tribunal de Grande Instance de Rouen, les défendeurs, avaient fait valoir qu’en vertu de l’autorité de la chose jugée, cette demande ne pouvait être accueillie. Cependant, le Tribunal a fait droit à la demande de la victime par jugement en date du 4 février 1997 et lui a alloué « compte tenu de l’impossibilité de s’occuper seul de son enfant » l’attribution de trois heures d’aide ménagère supplémentaires par jour jusqu’à la fin de la scolarité primaire de l’enfant.

En 2000, la victime mettait au monde un deuxième enfant. Le responsable de l’accident de la circulation et son assureur interjetaient appel de cette décision devant la Cour d’Appel de Rouen, qui accueillait favorablement leur recours au motif notamment que « la naissance des deux enfants issus de la relation maritale avec M. X ne constitue pas un préjudice juridiquement responsable » et que l’état clinique de Mme X « a été déclaré rigoureusement stable depuis plusieurs années; qu’il n’a été retenu aucune aggravation de son état séquellaire à la suite de la naissance de ses enfants ».

La victime saisissait la 2e Chambre Civile de la Cour de Cassation qui, par arrêt en date du 19 février, 2004, lui donnait entièrement satisfaction et cassait l’arrêt de la Cour d’Appel de Rouen, au motif « qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice dont Mme X demandait réparation était constitué par l’augmentation, en raison de la présence de ses deux enfants, de l’aide ménagère dont l’indemnisation lui avait été précédemment accordée à titre personnel en raison de son handicap, et que ce préjudice économique nouveau, indépendant de l’évolution de l’état séquellaire de la victime, n’avait pas été pris en compte par le jugement, antérieur à la naissance des enfants, la Cour a violé le texte et le principe susvisés ».

Cet arrêt est très important puisqu’il permet enfin d’introduire dans la notion d’aggravation, l’évolution de la vie des personnes handicapées, qui ne voient effectivement pas leur état séquellaire se modifier, mais peuvent en raison de leur handicap être incapables, notamment, d’avoir une vie familiale normale, et avoir besoin d’aide supplémentaire. Cette victime est en droit d’avoir des enfants, il est certain que même sans aggravation de son état séquellaire, elle a besoin d’une aide supplémentaire consécutive à la naissance de ses enfants qu’elle ne peut élever seule en raison de l’accident.

Statistiquement, on sait malheureusement que les jeunes sont plus souvent concernés par les accidents de la circulation, mais également par les infractions, accidents sportifs et autres, il est donc capital de sauvegarder leur droit de mettre au monde des enfants et de pouvoir les élever normalement. De même, cet arrêt peut permettre d’appréhender d’autres situations de la vie quotidienne, à condition que le besoin d’aide supplémentaire ait un lien de causalité avec l’accident initial. L’état situationnel est tout aussi important que l’état sequellaire, cette victime a revendiqué ses droits et le respect de la vie privée, elle a obtenu satisfaction.

Catherine Meimon Nisenbaum, avocate au Barreau, avril 2005.

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