« On veut objectiver le lien entre agréable et durable ». Ce propos d’Antoine Desbarrières, directeur de l’organisme de certification du logement Qualitel, est clair : une maison ou un appartement confortables, agréables à vivre, doivent être économes en énergie et durables au sens écologique du terme. L’organisme présentait à cet égard, le 5 octobre dernier, les résultats de son observatoire, « Logement : peut-on joindre le durable à l’agréable ? », qui témoignent de cette demande de durabilité, davantage exprimée par les occupants âgés de 20 à 60 ans que par les plus âgés. Avec une hiérarchie somme toute assez classique et significative : 50% des occupants sont satisfaits du niveau d’humidité de leur logement qualifié « durable », 45% du confort thermique, 43% de la luminosité naturelle, 36% de l’isolation acoustique, 34% du niveau de consommation énergétique et 25% du caractère adapté aux personnes âgées ou handicapées. Les résultats sont nettement inférieurs pour les logements non qualifiés : 41% pour l’humidité, 37% pour la luminosité, 25% pour le confort thermique, 26% pour le bruit, 18% pour la consommation énergétique et un petit 9% pour l’adaptation. On le constate une fois de plus, l’adaptation du logement demeure un point faible. Ce baromètre, présenté comme « la plus grande enquête sur la durabilité du logement » et reposant sur plus de 4.500 personnes interrogées, pourrait faire référence dans les milieux professionnels.

Plus grands, plus lumineux, moins chers

« On constate effectivement que c’est un vrai souci majeur d’évolution du parc, qui doit de plus en plus être conçu pour s’adapter au fil du temps, anticiper les accidents de la vie et le vieillissement naturel, précise Bertrand Delcambre, président de Qualitel. Il y aura davantage de personnes âgées et très âgées qui resteront dans leurs logements. Tels qu’ils étaient conçus jusqu’à présent, ils n’étaient pas envisagés en ce sens. » Cette aspiration est néanmoins contredite par la réalité des superficies des pièces qui se réduisent comme le relève l’étude de l’institut de recherche et de formation Idhéal d’août 2021, et des prix élevés qui ont augmenté ces douze derniers mois de 11% pour les maisons et 7% pour les appartements selon le réseau Century 21. « L’actualité du logement met en évidence la diminution des surfaces ces dernières années, poursuit Bertrand Delcambre. Notamment sous la pression économique. Les prix ont augmenté, notamment ceux des terrains. Le monde du logement est conscient de la nécessité d’inverser la tendance, des réflexions sont en cours, un rapport a été remis à la ministre et des arbitrages seront rendus assez vite pour conduire les professionnels à réinterroger les standards de qualité essentiels que sont la surface, l’orientation, l’éclairage, la hauteur sous plafond, etc., des éléments directement contributeurs de la qualité de vie dans un logement. » Ce rapport de la mission sur la qualité du logement que la ministre du logement a publié le 9 septembre 2021 constate le rétrécissement des pièces, l’inconfort résultant d’une aération défaillante, et bien d’autres raisons qui ont contribué à détériorer cette qualité. « Il est également nécessaire de réfléchir au vieillissement de la population et de prévoir des aménagements intérieurs compatibles avec les handicaps qui vont accompagner le fait qu’on vivra plus longtemps que par le passé dans son logement », conclut Bertrand Delcambre.

Vivre longtemps et confortablement chez soi

Cette adaptation des logements a été soulignée par la députée Marjolaine Meynier-Millefert (LREM Isère) qui fait le lien entre durable et adaptable : « Ce n’est pas un paradoxe ou une contradiction, mais un traitement des sujets en silos. Quand on pense au bâtiment durable, on pense d’abord environnement. Mais les gens ne font pas forcément le lien avec les transports durables, le travail, les services, l’école, les courses, les professionnels de santé. On traite le bâtiment d’un côté, les transports d’un autre. Plus tard on se posera la question du vieillissement de la population et on la traitera sans doute dans une case séparée. Je pense, et je ne suis pas la seule, qu’on doit lier tous ces sujets : quand on pense logement durable, on doit également penser à la manière dont on va se déplacer. Il ne sert à rien d’avoir un logement durable éloigné de tout : quel autre moyen aurez-vous d’utiliser une voiture ? Finalement, il n’est plus si durable que ça. » Elle estime que le logement doit être pensé dans la durée, en l’intégrant dans l’aménagement du territoire pour faire ville ou village, collectif. « Dès aujourd’hui, on peut rendre nos logements plus résilients, plus durables, plus agréables à vivre, et on y restera plus longtemps ce qui est aussi bon pour l’environnement et bon pour la planète », conclut Marjolaine Meynier-Millefert.

Le plaisir d’habiter

Invité à exprimer sa conception du logement durable lors d’une table-ronde, l’architecte Jean-Philippe Vassal, lauréat 2021 du célèbre prix Pritzker avec sa collègue Anne Lacaton, considère qu’un « logement agréable est un logement durable. C’est considérer que l’acteur essentiel du logement durable, c’est son habitant. C’est parce qu’il va trouver du plaisir, en fonction de ses envies, de ses choix, de regarder dehors, d’être dedans, à l’ombre, au soleil, que ça va permettre de rendre le logement performant énergétiquement. Un logement qui n’est pas agréable, on ne l’aime, on y a des problèmes. » Du confort énergétique découle donc le confort des habitants, mais cela rend-il « durables » de tels logements quand ils ne sont pas adaptables à l’évolution de l’autonomie des habitants ? « Le logement doit être beaucoup plus simple, plus facile, plus grand, répond Jean-Philippe Vassal. On peut construire plus grand et moins cher, en donnant plus de facilités, que la structure se limite à ce qui est réellement nécessaire. Il n’y a aucune raison de faire des cloisons en béton, on milite pour des passages entre le séjour, les chambres, le jardin d’hiver et le balcon, tout à niveau, sans seuil, pour se déplacer le plus librement possible. C’est une qualité qui va s’adapter à des gens en situation de handicap, et un plaisir pour tout le monde de passer sans seuil d’une pièce à l’autre et à son balcon. »

Table-ronde lors de la présentation du baromètre Qualitel, avec Antoine Desbarrières, Marie Drucker, Anne Lacton et Jean-Philippe Vassal

Un habitat idéal qui se heurte aux réalités économiques, dont la financiarisation du logement et son enchérissement. « Le coût du logement en zone urbaine a augmenté de manière considérable. La place du logement dans le budget des ménages est beaucoup trop importante ; ce qui pose problème ce n’est pas le coût de construction mais la spéculation immobilière et l’augmentation considérable du prix du foncier. Il n’y a aucune raison qu’un logement coûte 20.000€ du mètre carré à Paris, 4.000€ à Bordeaux ou 1.000€ du mètre carré dans un petit village. On est dans un système de manque de logements et de logements de mauvaise qualité, qui crée une situation particulière qui nourrit la spéculation. Elle est contradictoire de la volonté de bien habiter, d’avoir du plaisir d’habiter », affirme Jean-Philippe Vassal.

Emmanuelle Wargon

Une dimension qui échappe visiblement encore à la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, venue faire un discours avant la présentation de l’enquête Qualitel : « Le fait générateur de la rénovation, c’est d’abord l’agréable », a-t-elle relevé. Quel dommage qu’elle ait refusé de répondre au sujet de l’impact du logement évolutif créé par la loi ELAN sur la qualité de l’ensemble de l’offre neuve : « Le thème du 5 octobre n’a pas de rapport avec les questions que vous posez à la ministre », a répondu son cabinet. La politique du logement en silos a encore de beaux jours devant elle.

Laurent Lejard, octobre 2021.

PS : la ministre a rendu son arbitrage le 14 octobre. Un standard minimum de superficie des logements sera appliqué à partir de 2022 pour les logements éligibles à la réduction d’impôt dite Pinel, dédié à l’investissement locatif et dont les trois taux seront progressivement réduits. La réduction d’impôt n’étant accordée qu’aux particuliers achetant des appartements d’immeubles collectifs, on imagine mal les promoteurs faire construire deux catégories distinctes de logements, plus grands pour bénéficier de la réduction d’impôt, et plus petits pour être achetés par des propriétaires occupants…

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