Si le nouveau projet de réforme de la justice n’a retenu l’attention médiatique que sur la diffusion télévisuelle de procès, il pourrait révolutionner l’accès au travail pour les détenus handicapés. Parce qu’actuellement ils en sont écartés : le travail en prison est soumis aux « capacités physiques et intellectuelles du détenu » précise Service-public.fr.

Prison musée de Cork, en Irlande

Or, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire crée des droits sociaux pour les détenus qui travaillent et les étend aux prisonniers handicapés : « Le chef d’établissement [pénitentiaire] s’assure que les mesures appropriées sont prises, en faveur des personnes handicapées détenues, en matière d’accès à l’activité professionnelle. » Et il permettra via une ordonnance législative « l’implantation dans les locaux de l’administration pénitentiaire d’établissements et services d’aide par le travail en détention selon des modalités adaptées aux spécificités de la détention ». Un sujet que justifie ainsi la Chancellerie : « La création d’ESAT s’inscrit dans un constat de la réalité de la population pénale, en créant des structures lui donnant un accès à l’emploi. » Cela pérennisera deux expérimentations menées depuis quelques années : l’une depuis février 2014 au Centre de Détention du Val de Rueil (Eure) qui intègre 10 détenus reconnus travailleurs handicapés rémunérés au moins 55% du SMIC (avec complément éventuel par l’Allocation Adulte Handicapé), l’autre plus récente lancée en mai 2019 à la la Maison centrale d’Ensisheim (Haut-Rhin) par la Fédération APAJH et dont le président, Jean-Louis Garcia, expose la genèse et la philosophie.

Question : Que pense la Fédération APAJH du projet de créer des ESAT en détention ?

Jean-Louis Garcia : Un rapport sénatorial de la fin des années 1980 avait constaté qu’il y avait parmi les détenus une proportion de personnes handicapées mentales ou psychique beaucoup plus importante que dans la population générale. Je porte cette question depuis des dizaines d’années et j’essaie de faire entendre aux pouvoirs publics qu’une personne incarcérée reste citoyenne. Il y a quelques années, la directrice du centre de détention pour longues peines de Caen (Calvados) est intervenue lors d’un colloque pour exprimer que les condamnés restaient des citoyens et que la citoyenneté passait, entre autre, par le travail. Elle expliquait que les donneurs d’ordre de travail en prison exigeaient de la productivité et de la rentabilité, qu’elle choisissait les détenus et éliminait tous ceux qui ont des difficultés de compréhension, des moments de troubles, en clair tous ceux qui relèvent du handicap mental ou psychique. Je l’ai rencontrée avec un représentant de l’Agence Régionale de Santé pour lui dire qu’on pouvait imaginer une unité dans laquelle on ne rechercherait pas obligatoirement la rentabilité, et avec un habillage juridique ESAT. J’ai poussé les feux au sein de notre réseau et c’est finalement dans un centre de détention du Bas-Rhin qu’on a créé une unité de travail protégé pour des hommes condamnées à de longues peines et reconnus travailleurs handicapés. Le directeur de l’ARS, Christophe Lannelongue, avait trouvé l’idée intéressante et a financé la création pour 300.000€. La direction régionale de l’administration pénitentiaire a investi pour créer un lieu de travail neuf au sein de cette très vieille centrale. L’APAJH a recruté des éducateurs techniques, formés aux règles de sécurité, et on a démarré. Mais sans créer des places d’ESAT puisque le moratoire l’interdit : on l’a appelé « Lieu de travail adapté » expérimental et innovant. 18 détenus y travaillent à temps complet ou partiel. Cette expérience est très satisfaisante pour les détenus et pour l’établissement pénitentiaire qui estime que ça change bien des choses pour les personnes incarcérées en matière de regard sur elles-mêmes. Beaucoup moins de violences, y compris sur soi-même pour ces détenus handicapés psychiques. On est d’ailleurs sollicités pour les départements de Guyane et de Mayotte, qui font face à une délinquance juvénile importante. Je demande à rencontrer le Garde des Sceaux qui a visiblement des idées sur les activités au sein des prisons.

Porte d'une cellule de l'ancienne maison d'arrêt d'Avignon ©François Nagot - Alliage

Question : On peut donc dire que l’APAJH est à l’origine de la création d’ESAT en détention, pour contribuer à la réinsertion par le travail de délinquants et criminels dans notre société ?

Jean-Louis Garcia : Je ne discute pas leurs peines, ce n’est pas l’affaire de l’APAJH. J’ai rencontré la directrice de cabinet du ministre et l’administration pénitentiaire, mais on est coincés par le moratoire ESAT [la création de nouvelles places est gelée depuis 2013 NDLR] et ils nous disent deux choses : on va ouvrir à titre expérimental des Entreprises Adaptées dans quelques centres de détention, autorisées par un décret du 31 mars, et le moratoire ESAT sera levé pour créer des places en établissements pénitentiaires. Je suis favorable à cette levée parce qu’il n’y a pas qu’en milieu pénitentiaire qu’on est coincés. Par exemple, en Guyane, plus de 500 orientations ESAT ces 5 dernières années et aucune création. Je l’ai dit au Président de la République il y a un an, « avec notre administration très centralisée, tous les ans on crée du chômage en Guyane ». La secrétaire d’État aux personnes handicapées rencontrée fin janvier semblait favorable à lever ce moratoire. Nous revendiquons depuis des années la création de places en ESAT et Entreprises Adaptées en détention.

Question : Il ne semble pas qu’il y ait eu de concertation avec les acteurs du travail protégé sur ce sujet…

Jean-Louis Garcia : On a eu une réunion avec la directrice de cabinet du ministre et un de ses conseillers, cela veut dire qu’elle engage le ministre en nous rencontrant. Puis on a échangé longuement avec l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle qui dépend du ministère de la justice, ils y tiennent, veulent avancer et sont ravis d’avoir une organisation comme l’APAJH moteur sur le sujet. Vous savez, quand l’APAJH s’est positionnée sur la situation des réfugiés en situation de handicap, je me suis fait taper sur la tête par certains de mes camarades extérieurs à l’APAJH, « Enfin, il faut garder l’argent français pour les Français en situation de handicap ! » C’est un peu pareil pour la détention : c’est un sujet pas propre, alors on s’y salit pas les mains…

Laurent Lejard, avril 2021.

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