Pour les travailleurs handicapés, l’inégalité professionnelle se prolonge par l’inégalité devant la retraite. En effet, le handicap et la maladie causent un terrible manque à gagner en termes d’années de cotisation. De plus, les « réformes » successives (Balladur 1993Fillon 2003Woerth 2010Touraine 2014) ont aggravé la situation en allongeant les durées de cotisations de référence pour obtenir une retraite complète. Les parents, conjoints et aidants de personnes handicapées dépendantes, eux, sont généralement obligés d’assumer le rôle d’auxiliaires de vie dans des conditions très difficiles, au détriment de leur carrière. Au final, beaucoup en sont réduits à survivre avec l’Allocation de Solidarité aux Personnes Âgées (ASPA)… 200 euros sous le seuil de pauvreté ! C’est pourquoi, depuis une vingtaine d’années, les travailleurs handicapés et les aidants revendiquent la compensation de cette inégalité.

2003-2012 : des avancées durement conquises.

En 2003, pour faire passer sa réforme des retraites, le gouvernement concède une disposition censée répondre à cette demande : avec l’article 24 de la loi du 21 août 2003, un travailleur handicapé peut demander sa retraite avant l’âge légal, au taux plein, dès lors qu’il justifie d’une durée d’assurance concomitante avec un taux d’Incapacité Permanente (IP) au moins égal à 80 % durant une très longue période. Mais cette avancée reste purement théorique. Sa carrière étant plus courte qu’une carrière « normale », et rien ne venant compenser les trimestres de cotisation manquants, le bénéficiaire part avec une retraite très médiocre. Être titulaire d’une IP à 80 % (Carte d’invalidité ou avantage équivalent) durant toute la période d’activité professionnelle exigée implique de débuter la vie active en étant déjà lourdement handicapé, situation rare. On exclut les travailleurs moins handicapés dont l’état s’aggrave progressivement et ceux devenus handicapés en cours de carrière. Enfin, le gouvernement traîne à appliquer l’article 24, en particulier pour les fonctionnaires handicapés. La mobilisation s’organise. Le collectif « Handiretraites » lance une pétition en octobre 2004, avec le soutien de plusieurs associations. Le CDTHED reprendra par la suite des idées du collectif, aujourd’hui disparu, notamment pouvoir partir à la retraite avec une anticipation proportionnelle au nombre d’années cotisées en étant handicapé, avec majoration de la pension de base pour les périodes considérées – ceci afin de prendre en compte la situation des travailleurs devenus handicapés en cours de carrière.

En 2005, l’article 28 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 prévoit enfin la création d’une majoration de pension pour compenser les trimestres manquants. Il étend le droit à la retraite anticipée aux fonctionnaires handicapés. Mais sa mise en oeuvre est retardée et il faudra une nouvelle mobilisation pour obtenir la publication des décrets d’application (toute fin 2005 puis 2006).

En 2010, c’est encore à l’occasion d’une loi attaquant les retraites qu’un gouvernement concède une nouvelle avancée. L’article 97 de la loi du 9 novembre 2010 étend le bénéfice de la retraite anticipée aux titulaires de la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Ce critère, bien plus large que l’IP à 80 %, est parfaitement légitime puisque la RQTH est accordée aux travailleurs dont « les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites ». Mais les fonctionnaires handicapés sont exclus de cette disposition. Le CDTHED lance une pétition, multiplie les délégations auprès du gouvernement et des parlementaires, obtient le soutien de syndicats, d’associations et d’élus de divers courants.

Après 15 mois de bataille acharnée, une victoire partielle est obtenue le 18 septembre 2012 : la possibilité pour les fonctionnaires handicapés d’obtenir une retraite anticipée dans les mêmes conditions que les travailleurs handicapés du secteur privé.

2013-2014 : le grand recul !

La loi du 20 janvier 2014 abaisse de 80 % à 50 % le taux d’IP requis. Mais, elle supprime la prise en compte du critère RQTH pour les périodes postérieures à 2015. Or, le critère IP 50 % est beaucoup plus difficile à justifier que le critère RQTH. Cela aboutit à une restriction considérable du nombre de bénéficiaires potentiels… L’écrasante majorité des jeunes handicapés entrant sur le marché du travail sont condamnés à travailler sept années de plus alors que les employeurs peuvent continuer à les compter dans leurs quotas obligatoires ! Si les associations approuvent la baisse du seuil d’IP, toutes condamnent la suppression du critère RQTH. Le CDTHED relance le combat en 2015 avec une nouvelle pétition « pour le Droit à une véritable retraite anticipée des travailleurs handicapés et des aidants de personnes handicapées dépendantes », toujours d’actualité.

Et maintenant : vers la reconquête ?

En 2016, le Gouvernement est obligé de concéder une (petite) ouverture : l’article 45 de la loi du 23 décembre 2016 instaure un mécanisme permettant de faire valider les périodes manquantes sur la base des dossiers médicaux anciens, Mais les conditions sont très restrictives ainsi que le relève le CDTHED : « Retraite anticipée des travailleurs handicapés : un décret qui fait plouf! »

En conclusion, comme pour l’accessibilité, après avoir reconnu un droit, ici celui de la retraite anticipée, on revient en arrière en édictant des mesures qui limitent son application. Plus que jamais, nous devons nous battre pour nos droits et exiger notamment que le critère RQTH soit de nouveau pris en compte.


Henri Galy, président du Comité pour le Droit au Travail des Handicapés et l’Égalité des Droits (CDTHED), décembre 2017.

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