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Le
1er janvier 2017 marque l'entrée en vigueur de la carte mobilité-inclusion
(CMI) qui remplace les cartes d'invalidité, de priorité et de
stationnement dont 800.000 exemplaires ont été édités en 2015.
Annoncée par le Président de la République, François Hollande,
lors de la Conférence Nationale du Handicap du 11
décembre 2014, elle vise selon les ministres en charge du
dossier à faciliter la vie des titulaires, réduire la fraude et
la contrefaçon, et simplifier la délivrance par l'autorité compétente.
Si les droits ouverts par la nouvelle CMI correspondent à ceux
des cartes qu'elle remplace, sans changement pour leurs actuels
bénéficiaires, les facilités en matière de stationnement et de
circulation automobile risquent fort d'être limitées au seul territoire
français, faute de reconnaissance par les pays membres de l'Union
Européenne, la Suisse, la Norvège, l'Islande, les USA et le Canada
qui acceptent l'utilisation de la carte de stationnement "modèle
européen". Un retour à la situation d'avant 2000, année de mise
en oeuvre de la carte européenne de stationnement.
Une carte théoriquement unique pour tous les droits.
Lorsque François Hollande a annoncé la carte mobilité-inclusion,
c'était pour créer une carte unique pour les droits des personnes
handicapées. Après avoir (un peu) réfléchi, les services du secrétariat
d'Etat aux personnes handicapées ont ajouté quelques jours plus
tard que deux exemplaires de la CMI seraient délivrés en cas d'octroi
du droit "stationnement", chacune portant une mention différente
: "priorité" pour les personnes à mobilité réduite dont l'invalidité
est inférieure à 80%, "invalidité" pour celles qui atteignent
ou dépassent ce pourcentage, "stationnement" lorsque le périmètre
de marche est réduit à moins de 200 mètres ou lors de l'emploi
d'une aide à la marche (fauteuil roulant, déambulateur, canne...).
En usage quotidien, il sera donc important d'utiliser la carte
portant la bonne mention sous peine de refus, voire d'amende :
priorité ou invalidité pour éviter une attente à un guichet, stationnement
pour le véhicule. A cet égard, les bénéficiaires aveugles ne pourront
pas compter sur un repère tactile pour différencier les deux,
sauf à le graver eux-mêmes ! En théorie, les droits ouverts en
France ne changent pas, la CMI comportera bien les mentions "besoin
d'accompagnement" ou "cécité". Toutefois, l'apparence identique
des cartes devrait permettre par effet de confusion aux titulaires
de la Carte de priorité de bénéficier de facilités actuellement
réservées à celles qui ont une Carte d'invalidité, par exemple
un tarif réduit. Si la carte unique n'apporte rien de plus aux
bénéficiaires, ils devront néanmoins s'y soumettre : les
cartes en circulation demeureront valables jusqu'à leur fin de
validité, celles qui ont été délivrées à titre définitif ou permanent
seront obsolètes le 31 décembre 2016, date-butoir pour demander
une CMI dont la "substitution est de droit".
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Toutefois, les anciens combattants et victimes
de guerre (dont celles du terrorisme) bénéficient d'un droit différent
: ils conserveront le bénéfice de la carte européenne de stationnement,
comme le stipule un arrêté
publié le 30 décembre 2016, qui précise qu'elle doit être apposée
"dans le coin inférieur gauche du pare-brise", et garderont par
conséquent la liberté de voyager dans l'Union Européenne et autres
pays reconnaissant cette carte. L'argument gouvernemental de simplification
administrative ne résiste pas à l'analyse : deux cartes de stationnement
resteront en circulation en France, non pas une seule.
Une fraude légalement encouragée.
On relève une petite curiosité dans le décret
de mise en oeuvre de la CMI, qui vient mettre un bémol en matière
de lutte contre la fraude : "Les bénéficiaires de la mention "stationnement
pour personnes handicapées" de la carte mobilité inclusion peuvent
en demander un second exemplaire directement auprès de l'Imprimerie
nationale". Si cela simplifiera la vie des familles, point n'est
besoin d'être devin pour prédire que des petits malins le demanderont
afin d'équiper un conjoint, parent ou ami d'une carte parfaitement
régulière, occasion d'obtenir un passe-droit faisant réaliser
de substantielles économies (gratuité du stationnement par exemple),
autorisant à circuler dans un véhicule interdit les jours de pollution,
etc. Il suffira au conducteur de dire, en cas de contrôle, qu'il
va chercher la personne handicapée titulaire de la carte pour
être à l'abri d'une contravention. Ce n'est pas le prix modique
de ce second exemplaire (une dizaine d'euros) qui sera dissuasif,
une contrefaçon de carte européenne de stationnement pouvant s'acheter
500€ en région parisienne et 1.000£ en Angleterre, le "titulaire"
amortissant ainsi le péage
quotidien à Londres en moins de 100 jours !
Petite, solide et infalsifiable.
La CMI, au format carte bancaire, est près de quatre fois plus
petite que la carte de stationnement modèle européen. Sa fabrication
unitaire est facturée aux autorités accordant les cartes 4,58€
par l'Imprimerie Nationale, chargée de sa fabrication et de la
gestion du fichier des titulaires, qui l'enverra directement aux
bénéficiaires. Son support polycarbonate devrait la rendre plus
solide et résistante à la lumière solaire alors que la précédente
carte de stationnement, sur papier plastifié, y était très sensible
: les mentions manuscrites et cachet à l'encre bleue s'estompaient
en quelques années, obligeant à demander régulièrement un duplicata
en cas de délivrance à titre permanent. Théoriquement, la création
d'une contrefaçon devient plus compliquée grâce au "fond imprimé
de guilloches entrelacées et une inscription en encre à effet
variable", mais reste à la portée du possesseur d'une imprimante
de badge ou de l'un de ses clients : dans ce cas, la contrefaçon
serait indétectable en l'absence d'un hologramme de sécurité comme
dans les cartes de paiement ou le passeport. Pour contourner ce
risque, un flash-code permet aux policiers et gendarmes de vérifier
la validité de la CMI en interrogeant directement la base de données
centralisée qui les recense... sauf que ces agents sont loin d'être
dotés d'appareils lisant un flash-code, cet équipement étant en
cours de déploiement depuis quelques mois (2.000 des 150.000 policiers
nationaux devaient l'être avant la fin de l'année 2016 selon le
journal Le
Parisien). Dans l'intervalle, ils disposeront d'un serveur
vocal interrogeable avec le numéro de la carte, quand ils le pourront
: "Le ministère de la Santé n'a pas officiellement informé la
Police Nationale, explique un porte-parole du ministère de l'Intérieur,
les agents n'ont pas accès au fichier central des cartes". A quelle
date l'infrastructure sera-t-elle opérationnelle (bases de données,
liaison sécurisée avec les MDPH et CD, fichier consultables par
policiers et gendarmes) ? "A partir de janvier, sachant que des
départements ont jusqu'en juillet pour 'passer' à la CMI",
assure le secrétariat d'Etat aux Personnes handicapées. Pas de
réponse précise du côté de l'Imprimerie Nationale, qui parle de
"quelques semaines". Toutefois, les 250.000 gendarmes ou agents
de police municipale ou nationale devront être "individuellement
désignés et spécialement habilités" par leur hiérarchie pour interroger
le fichier central des CMI, formalité lourde à renouveler régulièrement
sous peine d'annulation par la justice des sanctions infligées
aux contrevenants.
A cet égard, le décret précise que la CMI stationnement "est apposée
en évidence à l'intérieur et fixée contre le pare-brise du véhicule",
alors que la réglementation précédente demandait qu'elle soit
placée "derrière le pare-brise". Près de quatre fois plus petite
que sa prédécesseure, la CMI ne pourra en effet être vue par les
agents contrôlant le stationnement que si elle est plaquée sur
le pare-brise, sinon l'amende risque de tomber. Comme certaines
villes, dont Paris, préparent le transfert à des sociétés privées
de la répression du paiement du stationnement (dont sont exemptés
les titulaires de la CMI et de la carte européenne) connaitra-t-on
prochainement en France les cas vécus en Ecosse, il y a quelques
années, où des agents zélés verbalisaient quand la carte
de stationnement n'était pas parfaitement placée à leur convenance
? De plus, le format
minuscule de la CMI (5,4 cm x 8,6 cm) risque d'entrainer des interpellations
multiples par les policiers chargés de réprimer les interdictions
de circulation les jours de pollution ou dans les zones à circulation
restreinte, alors que la carte actuelle peut être vue de loin
si elle est fixée contre le pare-brise. Théoriquement plus pratique,
le format de la CMI risque donc de s'avérer au quotidien très
handicapant.
"Délivrée en 48 heures"
Voilà un bel exemple de désinformation diffusée par la ministre
chargée des Affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine,
et ses secrétaires d'Etat aux Personnes handicapées, Ségolène
Neuville, et aux Personnes âgées, Pascale Boistard : "Elle sera
fabriquée en 48 heures et expédiée directement au domicile des
personnes", précise leur communiqué. Nombre de journalistes ont
également annoncé que la demande se ferait par Internet, confusion
avec la demande d'un double ou d'un duplicata. Or, il n'en est
rien, il faudra toujours déposer un dossier papier à la Maison
Départementale des Personnes Handicapées, au Conseil Départemental
pour les personnes âgées dépendantes, ou au service départemental
de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
A noter que si les formalités restent identiques (formulaire,
certificat médical, instruction par la MDPH ou le Conseil Départemental,
etc.), il n'est plus exigé de photographie d'identité lors du
dépôt de la demande. Elle devra être fournie ultérieurement, ce
qui occasionne en pratique une formalité et un délai supplémentaires,
là encore à l'encontre de la simplification invoquée. De plus,
il n'est pas prévu de délai spécifique d'instruction de la demande
qui s'inscrit de ce fait dans ceux des autres dossiers traités
par chaque MDPH, entre deux mois et plus d'un an !
L'Imprimerie Nationale est chargée de gérer la télé-procédure,
la base de données recensant les cartes émises, consultable par
les forces de l'ordre, ainsi que les demandes rejetées et le motif
invoqué. Son bon fonctionnement suppose la conclusion d'une convention
entre l'Imprimerie Nationale, les 101 Conseils Départementaux
et les 101 Maisons Départementales des Personnes Handicapées ou
de l'Autonomie, avec mise en place entre leurs services
de "canaux de communication chiffrés, assurant l'authentification
de la source et de la destination", cela avant le 1er juillet
2017 faute de quoi aucune carte (ancienne ou nouvelle) ne pourra
être émise. L'accessibilité de ce télé-service est garanti : "Il
répond aux besoins d'accessibilité défini par le Référentiel d'Accessibilité
pour les Administrations (Version 3.0 du RGAA instituée par l'arrêté
du 29 avril 2015)", répond le secrétariat d'Etat aux Personnes
handicapées. Mais aucune alternative n'est prévue pour les personnes
qui n'utilisent pas Internet et en ont pleinement le droit ! Enfin,
seul le paiement par carte bancaire est prévu, à charge pour ceux
qui n'en possèdent pas de se débrouiller... Ces carences soulignées
par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées
dans son avis du 7
novembre 2016 ont été largement ignorées par les ministres
signataires des textes d'application.
Tourner le dos à l'Europe.
C'est le gros point noir de la CMI : elle risque de n'être utilisable
qu'en France, faisant perdre à ses titulaires le bénéfice des
facilités
de circulation et de stationnement dans les pays de l'Union Européenne
et une poignée d'autres. La carte mobilité-inclusion a été annoncée
quelques semaines avant que l'Union Européenne ne lance un appel
à projet relatif à la création d'une carte européenne d'invalidité
qui entre en vigueur en ce début janvier dans huit pays (Belgique,
Chypre, Estonie, Finlande, Italie, Malte, Roumanie et Slovénie).
La France, via la Direction Générale de la Cohésion Sociale
qui dépend du ministère des Affaires sociales et du secrétariat
d'Etat aux Personnes handicapées, a décidé de ne pas répondre
alors même qu'elle est l'un des rares pays membres à avoir
créé de longue date une carte d'invalidité : il fallait
ne pas faire perdre la face au Président de la République qui
aurait dû retirer son projet de carte franco-française. Outre
ce refus, la nouvelle CMI mention "stationnement" devra être reconnue
par les pays membres de l'Union Européenne et ceux qui acceptent
le modèle européen
(Suisse, Islande, Norvège, USA, Canada).
Ni le ministère des Affaires étrangères ni son secrétariat d'Etat
aux Affaires européennes n'ont voulu préciser l'action de la France
auprès de ces pays pour faire reconnaître cette nouvelle CMI,
comme l'a déploré le CNCPH : "En cas de mise en place de la carte
mobilité inclusion, se poserait alors la question de la rupture
du principe de libre circulation des autres personnes en situation
de handicap européennes en France, puisqu'elles ne possèderont
pas la carte mobilité inclusion seulement française, tout comme
la carte mobilité inclusion française ne permettrait plus de stationner,
dans les mêmes conditions qu'actuellement, dans les autres pays
européens, puisque la carte mobilité inclusion remplace la carte
européenne de stationnement, sans aucune harmonisation avec les
autres pays concernés." Le secrétariat d'État chargé des personnes
handicapées préfère positiver : "[Nous informons nos] partenaires
pour que la carte mobilité inclusion soit reconnue, a déclaré
son porte-parole au mensuel Faire Face le 3 décembre dernier.
Nous allons aussi plaider auprès d'eux pour que le nouveau format
de la carte délivrée par la France devienne le nouveau modèle
proposé au niveau européen."
La Commission Européenne est d'un autre avis : "La Commission
soutient les efforts des états membres concernant la modernisation
et la simplification de la carte, commente l'un de ses porte-parole,
tout en veillant à ce que sa reconnaissance transfrontalière demeure
assurée. Nous nous sommes renseignés auprès des autorités françaises
sur la carte mobilité-inclusion et nous avons suggéré aux autorités
françaises de veiller à informer tous les autres états membres
de l'introduction de cette carte, afin de garantir sa reconnaissance
par ceux-ci. La nouvelle taille de la carte, notamment de la version
à laisser sur le pare-brise de la voiture, reste pour nous une
préoccupation. La taille proposée dans la recommandation
visait en effet à assurer sa lisibilité. Nous comptons rester
en contact avec les autorités françaises sur ce dossier afin de
nous assurer, autant que possible, de la compatibilité de cette
nouvelle carte avec la recommandation."
Laurent Lejard, janvier
2017.
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