Si à l’enseignement de base il existe au Cameroun des établissements offrant l’éducation spécialisée et inclusive, c’est-à-dire tenant compte des besoins spécifiques d’éducation des enfants handicapés, au cycle secondaire, il reste en revanche des efforts considérables à faire. Ainsi, pour certains élèves, continuer les études au secondaire est une véritable épreuve. Ce que Ghislain Enama Mboe, élève sourd en classe de 5e au Lycée de NKol-Eton à Yaoundé, résume ainsi : « Après l’école primaire à l’Ecole Spécialisée pour Enfants Déficients Auditifs (ESEDA), mon calvaire a commencé avec l’entrée au Lycée. »

Sourds et malentendants sans interface de communication.

Ces difficultés sont inhérentes à l’inadaptation du système scolaire à ce niveau, et certains élèves sont parfois contraints d’abandonner. Tel est le cas d’Albert Camus Feuson, sourd et ancien élève en classe de terminale D au lycée de Nkol-Eton, qui a dû quitter l’établissement à cause de l’inadaptation des méthodes pédagogiques : « Il n’y a pas de différence entre être en classe ou être à la maison, puisque je n’arrive pas à suivre les explications des professeurs pendant les cours, ou à copier les cours dictés par les enseignants. » Cet état crée des tensions dans les rapports entre élèves déficients auditifs et enseignants. Cela est prévisible puisque ces derniers ne sont pas outillés à l’encadrement de cette catégorie d’élèves. « Les professeurs, qui connaissent pourtant notre handicap, nous ignorent pendant les cours, et nous ne suivons pas leurs explications, déplore Ghislain Enama Mboe. Moi par exemple, je suis obligé de copier dans le cahier de mes camarades qui sont parfois réticents, car ils disent que je freine leur prise de notes. »

Cette inadaptation du système éducatif à pour corollaire non seulement les mauvais résultats, mais surtout des frustrations pour ces jeunes handicapés auditifs qui se sentent exclus. C’est ce que pense Emeran Endzodo, élève sourd en classe de 4e au Lycée de NKol-Eton : « Je suis arrivé au Lycée voilà à peu près cinq ans et le suis encore en 4e, classe qui est aussi le début de la deuxième langue [espagnol] qui n’existe pas dans le commun des Sourds. » A la question de sa participation aux cours, il répond : « Nous sommes habitués à l’indifférence des professeurs, ils ne nous font pas participer aux cours, seuls les entendants sont interrogés. Cette situation nous blesse terriblement. »

Comme alternative, les parents sont obligés de recruter des répétiteurs pour leurs enfants pour certaines matières, notamment les mathématiques ou la deuxième langue, cette fois encadrés par des personnes maitrisant la langue des signes. « Je travaille les mercredis soir et les samedis avec nos enseignants du primaire, » conclut Albert Camus Feuson.

Le braille piège les élèves aveugles.

Le problème se pose différemment s’agissant des élèves handicapés visuels. En effet, ceux-ci ne peuvent pas lire les formes d’écriture ordinaire. Ils se contentent des explications des enseignants et des cours dictés. En revanche, leurs encadrants ne peuvent pas lire le braille, par conséquent ils ne peuvent pas les corriger ou les améliorer, tel qu’il ressort de ce récit de Béatrice Tchouanga, élève non-voyante en classe de 1ère au Lycée de Mendong à Yaoundé : « Un jour, le professeur voulait corriger les cahiers de tous les élèves. Arrivé à mon tour, il a failli me mettre zéro, parce que mes notes étaient en braille et lui, ne connaissant cette forme d’écriture, il ne pouvait pas les lire ! Alors, comme nous étions à la fin du premier trimestre, il m’a obligé à écrire au deuxième trimestre avec la machine à écrire que j’utilise souvent lors des examens. »

S’il n’y a pas de grandes difficultés quand il s’agit de matières littéraires, tout se passe comme si la filière scientifique était interdite aux élèves déficients visuels. C’est ainsi que Béatrice, à l’époque élève au Lycée de Biyem-Assi où elle avait réussi au BEPC en 2011, et admise en Seconde C où les mathématiques et physiques constituent les matières de base, a été contrainte de changer de filière. La tante de la jeune fille, qui est Française, lui avait trouvé un établissement spécialisé pour non voyants à Paris (l’Institut National des Jeunes Aveugles), mais malgré plusieurs tentatives, elle n’a pu obtenir le visa d’entrée en France pour sa nièce. « Ma fille a été contrainte de changer de filière, alors qu’elle avait l’ambition de devenir informaticienne », confie au bord des larmes la mère de Béatrice, rencontrée à la sortie des classes.

Pourtant, selon la presque totalité des élèves handicapés, les rapports avec leurs camarades valides sont très bons, ces derniers leur servant de guides, d’encadrants au quotidien. Ainsi, reconnaît Béatrice, « sans mes camarades je ne peux pas facilement prendre les cours ni même me déplacer dans le Lycée au sol très accidenté. Même avec ma canne blanche, je ne peux pas m’en sortir et j’en ai d’ailleurs déjà perdu presque trois jusqu’ici. »

Des établissements mal accessibles aux sols défoncés.

Une situation similaire à celle des élèves handicapés moteurs dont le principal problème n’est « que » l’accessibilité aux infrastructures et édifices scolaires. Victor Hugo Watching, élève en 6e au lycée Bilingue de Mendong et paraplégique, en est victime. Allant sur béquilles et plus régulièrement sur tricycle à manivelle, il ne peut malheureusement pas l’utiliser dans son établissement à cause de l’environnement trop inaccessible : « Je préfère mes béquilles, parce qu’avec ma voiturette, je vais rester sur place. » Il en va de même pour Ulrich Pouadeu, élève en Seconde, paraplégique utilisant un fauteuil roulant manuel : « Ce sont mes camarades qui me soutiennent tout le temps, la cour est très accidentée, mon fauteuil roulant ne peut pas se déplacer sans quelqu’un à côté. »

Comme Béatrice, Ulrich confie : « Je consomme au moins deux fauteuils roulants par an à cause de la cour du Lycée, de l’accès dans les salles de classe et les autres bâtiments de l’établissement, aussi, parce que comme j’ai mal au dos, c’est sur ça que je reste à tout moment, parce que je ne peux pas m’asseoir sur le banc de l’école. »

Pourtant, la question d’accessibilité aux infrastructures et édifices ouverts au public, tels les établissements scolaires, est une exigence de la législation, notamment la loi n°2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées au Cameroun. En tout état de cause, l’élaboration en cours d’une nouvelle stratégie de l’éducation laisse apparaitre que la résolution de la question de l’intégration scolaire secondaire des élèves handicapés passera par la mise en place d’une éducation inclusive à tous les cycles, du primaire au supérieur en passant par le secondaire. Pour ce faire, il conviendra d’élaborer une formation des enseignants tenant compte des besoins spécifiques d’éducation des élèves handicapés. Reste à savoir quand les autorités le réaliseront…


Etienne Mbogo et Estelle Eyenga, juin 2013.

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