Le fait est connu : obtenir un logement dans le parc privé ou social devient ardu pour presque tous les demandeurs. Mais lorsque ces derniers sont handicapés, ils doivent affronter une offre très réduite, mal connue des bailleurs sociaux qui n’appliquent pas la priorité d’accès définie par la loi, inadaptée dans le secteur privé régi par des propriétaires refusant généralement de louer à une personne handicapée réputée difficile à déloger en cas de défaillance dans le paiement du loyer. Tels sont les enseignements d’un colloque sur l’égalité dans le logement organisé le 7 novembre dernier à Paris par le Défenseur des Droits, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Une discrimination à facettes.

Le secteur privé locatif représente 6 millions de logements, dont 3 millions de propriétaires d’un seul appartement ou maison. Mais il n’y aurait pas de problème de discrimination dans la sélection des locataires, selon Philippe Prével, vice-président de la Fédération Nationale des Agences Immobilières (FNAIM) : « La fédération a élaboré une charte déontologique de non-discrimination. Depuis 8 ans, notre service qualité a traité un ou deux dossiers de discrimination indirecte portant sur les revenus sur 6.000 réclamations, dont 300 finalisées. » De son côté, le Défenseur des Droits, Dominique Baudis, a rappelé une décision rendue fin 2011 à l’encontre du réseau Foncia qui interdisait à ses agences de louer à des pensionnés d’invalidité ou bénéficiaires de l’Allocation aux Adultes Handicapés : épinglé pour discrimination indirecte, le groupe a dû modifier ses critères en conséquence. Le handicap et l’état de santé constituent d’ailleurs le second motif de discrimination dans l’accès au logement selon les réclamations reçues par le Défenseur des Droits, précise son adjointe, Maryvonne Lyazid : « 2.700 réclamations portant sur le logement ont été traitées depuis 2005 par la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité puis le Défenseur des Droits. 43% portaient sur l’origine, le handicap et l’état de santé viennent en seconde position avec 21% des réclamations. Les régions à la pointe des discriminations sont l’Aquitaine, le Nord Pas-de-Calais, l’Île-de-France et particulièrement Paris. 18% des 63 décisions dans ce domaine portent sur le handicap, dont 6% sur la non-prise en compte des besoins spécifiques. Le handicap n’est pas suffisamment reconnu et traité comme une priorité d’attribution faute de mesures appropriées pour rendre le logement adaptable ».

Pour apprécier le respect de ce droit, le Défenseur des Droits va au-delà de la législation française, en se référant aux conventions internationales de l’Organisation des Nations-Unies pour fonder ses décisions : « Il y a des problématiques qui nous paraissent ne pas être suffisamment traitées dans les stratégies nationales, telle l’absence ou l’insuffisance de mesures pour assurer l’accessibilité, » conclut Maryvonne Lyazid. Par exemple, le droit français permet à des copropriétaires de refuser la mise en accessibilité des parties communes d’un immeuble. De même, le Défenseur des Droits a invoqué la convention internationale des droits de l’enfant pour faire tomber les obstacles bloquant l’adaptation d’un logement en rapport avec l’aggravation du handicap, l’ensemble mettant en péril l’équilibre familial et de l’enfant concerné. Interrogé en marge d’un événement de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, le Directeur Général de Ladapt, Eric Blanchet, constate que le logement est l’une principales difficultés évoquées : « Souvent, les premiers contrats de travail ne sont pas à durée indéterminée, une forme de précarité qui entraine peu ou pas d’accès au logement. Pour les jeunes qui n’ont qu’un contrat à durée déterminé ou un stage, l’accès à un logement est impossible. Ensuite, des logements doivent être plus ou moins adaptés aux situations de handicap. Mais le logement dans le secteur privé est inaccessible. »

Un parc social vieillissant et inadapté.

Dans ce contexte, le logement social constitue pratiquement la seule solution pour les personnes handicapées vivant avec une pension ou allocation, ainsi que les travailleurs handicapés en emploi précaire. Mais le parc immobilier vieillissant des bailleurs HLM comporte peu de logements accessibles et adaptables. « C’est l’une des premières questions qui nous a été posée en 2008, quand on a été élu à la municipalité, explique Soumia Zahir, Conseillère municipale à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Nous n’avions pas de logements accessibles et adaptables parmi les 8.000 de l’Office Public de l’Habitat d’Aubervilliers, du fait de leur architecture tarabiscotée. Depuis, les nouveaux immeubles comportent des logements accessibles et adaptés. » Le recensement du parc locatif effectué en 2009 a mis en évidence le peu d’appartements accessibles, réduisant fortement le respect de la priorité d’attribution aux demandeurs handicapés aux rares logements devenant vacants.

Constat identique à Thionville, où la municipalité et celles des communes voisines ont longtemps refusé de construire, avec comme résultat un parc social ancien sans accessibilité qui commence juste à être compensé, à la faveur d’une alternance politique en 2008, par des constructions neuves et de la rénovation, les logements accessibles dûment recensés n’étant attribués qu’à des personnes qui en ont réellement besoin. Dans la communauté d’agglomération de Dunkerque (Nord), le même recensement a attesté que seulement 300 des 27.600 logements sociaux étaient réellement accessibles et adaptables. Maire de Versailles (Yvelines) pendant 13 ans, jusqu’en 2008, Etienne Pinte a dû composer avec des opérations de rénovation portant sur des immeubles classés à l’inventaire des monuments historiques dont la mise en accessibilité était contrainte par le principe de préservation du patrimoine : « Nous avions en permanence entre 1.500 et 2.000 demandes de logements sociaux, nous connaissions la demande en logements accessibles. Les appartements adaptés étaient systématiquement attribués à des personnes à mobilité réduite. » Mais c’est l’obligation de posséder sur le territoire 20% de logements sociaux au titre de la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) qui a amélioré la situation, la ville construisant de nouveaux immeubles avec accessibilité et adaptabilité.

Accessible, adaptable, adapté ?

Mais comment les bailleurs sociaux abordent-ils la question ? « En discutant avec la Halde, nous avions pris conscience que ne pas attribuer un logement à une personne handicapée parce qu’on n’a pas de logement adapté n’est pas vécu pour nous comme un acte de discrimination, expose Dominique Dujols, directrice des relations institutionnelles et des partenariats à l’Union Sociale de l’Habitat (USH). On répond qu’on n’a pas de logement adapté, et en réalité, bien évidemment, la personne est discriminée. » Si Dominique Dujols estime cette situation rattrapable grâce à la rénovation et la construction d’immeubles neufs, elle relève une carence de taille dans la loi du 11 février 2005 en faveur des personnes handicapées et met en cause les pouvoirs publics : « Avant, nous pouvions nous appuyer sur les dispositifs Vie Autonome, des initiatives politiques locales, des partenariats. Maintenant, on est passé au tout technique, au tout bâti avec la loi de 2005 et du coup, on a enterré tout le reste. »

Responsable des politiques sociales à l’USH, Juliette Furet précise : « Les Maisons Départementales des Personnes Handicapées ne répondent pas en matière de logement. Ce sont les organismes HLM qui recrutent des ergothérapeutes, les MDPH sont débordées faute de moyens. » Elle apprécie toutefois la création d’un fichier unifié des demandeurs qui fournit un recensement de la demande d’appartement adapté sur un territoire déterminé : « On nous demande d’adapter l’offre, mais quand on a un logement adapté, souvent on n’a pas le client en face. » Elle constate également le court délai dans lequel l’attribution doit être effectuée, généralement pendant le préavis d’un mois du locataire partant. Reste le financement des adaptations d’un logement, réparti entre le bailleur et le locataire handicapé : « Les organismes ont des politiques d’adaptation au vieillissement et aux situations de handicap des logements et des parties communes, poursuit Dominique Dujols. Dans les appartements, cela porte essentiellement sur les salles d’eau, les portes, l’électricité. Après, s’il faut des adaptations très spécifiques et importantes, on considère que ce n’est plus de l’immobilier mais du domaine de la politique du handicap et de l’aide à la personne. »

Aide qui est attribuée par la Maison Départementale des Personnes Handicapées, après une longue procédure d’évaluation qui peut dépasser un an, pour obtenir un financement maximal de 10.000€ qui plus est limité à 50% de la dépense, une somme d’autant plus insuffisante que le montant moyen attribué en 2011 avoisine les 3.000€. Sauf que certaines MDPH refusent : « Dans les Pays de Loire, déplore Juliette Furet, une MDPH répond aux demandeurs qu’il revient aux bailleurs de financer les travaux à cause de la déduction de la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties. » Incluse dans la loi du 21 décembre 2001 instaurant un droit à priorité d’accès pour les personnes handicapées au logement social, cette mesure est la seule contribution de la politique nationale du handicap en faveur du logement. Politique qui devrait évoluer en 2013, comme l’a annoncé la ministre chargée du logement, Cécile Duflot, en clôture du colloque Egalité dans le logement : « Des difficultés et des retards subsistent dans la mise en oeuvre des obligations imposées par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Le Premier ministre a confié à Madame la Sénatrice Claire-Lise Campion une mission parlementaire à ce sujet. J’ai la conviction que les conclusions et propositions de cette mission parlementaire, attendues à la fin de l’année 2012, nous permettront d’améliorer les réponses en faveur de l’accessibilité pour tous. »

La ministre devrait présenter l’an prochain un projet de loi-cadre sur l’accès au logement « qui visera notamment à réformer en profondeur les procédures d’attribution des logements sociaux, à réformer les rapports locatifs de manière à sécuriser l’accès au logement par une réforme de la GRL [Garantie des risques locatifs], et enfin, à mieux encadrer les pratiques des professionnels de l’immobilier. » Mais dans l’intervalle, la seule association nationale d’aide à l’adaptation du logement, l’ALGI, est menacée de liquidation avant la fin de cette année, du fait du refus du précédent ministre du logement de dégager les financements nécessaires, sans que sa successeure agisse pour éviter la catastrophe finale. Si Cécile Duflot annonce la mobilisation de 4,2 milliards d’euros en faveur du logement, elle n’a toujours pas décidé d’accorder les 5 millions qui sauveraient et pérenniseraient l’ALGI. C’est toujours à l’aune des réalités que l’on apprécie la sincérité d’un discours…

Laurent Lejard, novembre 2012.

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