La Mauritanie est située dans la partie nord-ouest de l’Afrique. Sa superficie équivaut à deux fois celle de la France, pour une population estimée à 3.500.000 habitants, composée de maures et de négro-africains. Elle est classée parmi les pays pauvres très endettés (PPTE). Le climat est sahélo-saharien, chaud et sec, particulièrement dans le nord qui est essentiellement un désert aride, la désertification y avance de 6 km par an. La vallée du fleuve constitue la terre la plus fertile, des plaines inondables y offrent des possibilités de cultures. Mais les sécheresses consécutives ont provoqué un exode rural massif vers les grandes villes, principalement Nouakchott, la capitale. Cet exode est marqué par une forte présence de personnes handicapées, plus grandes victimes des effets de ces sécheresses. Au moins 30 % des femmes enceintes sont anémiques, d’où le faible poids des enfants à la naissance, avec des risques élevés de handicap. La mortalité infantile est très élevée, 144 pour 1.000 naissances en général, et 225 pour 1.000 enfants de moins de 5 ans. L’espérance de vie est de seulement 45 ans. Les maladies handicapantes sont omniprésentes : poliomyélite, otite aiguë, maladies oculaires cécitantes, troubles psychiatrique graves…

La plupart des personnes devenues handicapées l’ont été à la suite de maladies mal soignées. Mises au banc de leurs propres familles, elles vivent dans la marginalisation et le dénuement. Dénuement qu’affronte chaque jour Ousmane Guissé, 42 ans, handicapé moteur depuis l’enfance, paralysé des deux jambes après avoir une injection mal faite suite à une chute. « Je suis le lead vocal de l’orchestre ‘Daande Lenol’ [en français : ‘La Voix de la Communauté’] un groupe musical composé de personnes handicapées. Comme nous ne jouissons pas de la considération de la société et des organisateurs d’événements musicaux, nous sommes dans l’impossibilité de vivre de notre art. Les gens n’acceptent même pas d’assister à nos concerts ! Les préjugés à notre égard sont tenaces. Je suis donc obligé de travailler comme cireur et réparateur de chaussures pour nourrir ma famille de quatre personnes, et aussi l’habiller, la soigner et payer le loyer de ma chambre. »

Trente années d’attente.

Les personnes handicapées en Mauritanie ont commencé à s’organiser dans les années 1970, avec la création de l’Union Nationale des Handicapés Physiques et Mentaux (UNHPM) rassemblant l’ensemble des catégories de handicaps. En 1990, cet ensemble se désintègre, les différentes catégories de handicaps créèrent des associations spécifiques qui se regroupèrent, par la suite, en une Fédération Nationale des Associations Nationales de Personnes Handicapées (FEMANPH). Depuis lors, cette structure, à travers un bureau exécutif, coordonne les actions communes. Le revers de la médaille est que seules les personnes handicapées des villes bénéficient du peu d’avantages accordés par les autorités publiques. Celles qui vivent dans les campagnes sont pratiquement oubliées.

Le Gouvernement n’a commencé à s’intéresser à la problématique du handicap dans le pays que trente ans après l’avènement du mouvement national des personnes handicapées. En 2006, l’Ordonnance n°043/2006, portant promotion et protection des personnes handicapées, énonce des mesures audacieuses, dont l’accès à l’éducation et à l’information, la prévention, l’accès aux soins, la rééducation et la réadaptation, l’accessibilité aux édifices publics et aux moyens de transport, l’accès à la formation professionnelle et à l’emploi. Malheureusement, depuis cette date, le processus est au point mort, les décrets et arrêtés d’application se font toujours attendre. Ce qui fait qu’à l’heure actuelle les personnes handicapées ne disposent d’aucune prise en charge, et ne perçoivent aucune allocation. La création d’une structure de lutte contre la mendicité au sein du Commissariat aux droits de l’homme a lamentablement échoué, parce qu’elle ne reposait pas sur une vision pertinente.

Une vie extrêmement difficile.

« La vie des personnes handicapées est extrêmement difficile, reprend Ousmane Guissé. Nous sommes des laissés pour compte. Nous ne bénéficions d’aucune prise en charge de la part de l’Etat. La discrimination est très répandue, personne n’accepte d’employer des personnes handicapées. Ainsi, chacun se débrouille pour vivre. Même les diplômés n’arrivent pas à trouver du travail. La plupart d’entre nous sont obligés de s’adonner à la mendicité pour survivre. Je ne comprends pas pourquoi les personnes handicapées sont considérées ici comme des incapables. Il faut leur permettre de montrer la preuve contraire. Pour cela, il faut les former dans des métiers qui leur permettent de travailler à leur compte, en les aidant aussi à trouver des appuis financiers pour cela. »

Abdoulaye Oumar Sy, 53 ans, a vécu une situation très différente. Le handicap ne l’ayant atteint qu’après ses études et alors qu’il avait un emploi, il a eu les capacités de se reclasser et de relever la tête : « Je suis actuellement Directeur administratif et financier de l’Association Nationale des Aveugles de Mauritanie (ANAM). J’ai écourté mes études au lycée pour me lancer, en 1981, dans la vie ouvrière pour subvenir aux besoins de ma pauvre famille, en passant par le Centre de formation de maîtrise de la Société Nationale Industrielle et Minière de Mauritanie (SNIM). J’en suis sorti avec un diplôme d’électromécanicien qui m’a permis de travailler jusqu’en 1992 avant d’être classé parmi les personnes handicapées, car j’étais en phase de devenir aveugle : par ignorance de ma part et négligence des médecins traitants, un glaucome m’a gagné. »

Dix ans plus tard, alors qu’Abdoulaye Oumar Sy était devenu aveugle, il a intégré des organisations de personnes handicapées : « J’ai suivi une formation locale en Braille, en informatique adaptée, en standard administratif et en gestion. Ce qui m’a permis de former plusieurs de mes concitoyens gratuitement, car ils sont laissés à eux-mêmes comme toutes les autres couches de personnes handicapées qui restent et demeurent les plus vulnérables, malgré le slogan du Président de la République qui stipule qu’il est ‘le président des pauvres’… A quoi peut servir le diplôme d’un aveugle en Mauritanie si sa personnalité n’est pas prise en considération dans les institutions publiques et privées ? A quoi bon ratifier les traités relatifs aux droits des personnes handicapées s’il n’y pas d’application ? »

La mendicité comme moyen de survie

Les statistiques concernant les personnes handicapées sont très rudimentaires, car non fondées sur un recensement fiable à partir de bases scientifiques bien définies. Mais selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les personnes vivant avec un handicap représenteraient 7% de la population, soit 245.000 individus.

Cette population vit dans des conditions très difficiles. Beaucoup s’adonnent à la mendicité, tandis que d’autres se débrouillent pour vivre dignement, tant bien que mal. Et les plus chanceuses, lorsqu’elles trouvent un emploi, sont sujettes à l’hostilité de leurs collègues imbus de préjugés tenaces. Les malades mentaux sont laissés à eux-mêmes, végétant dans les rues ou au milieu de places publiques jonchées de débris de toutes sortes, vivant d’expédients alimentaires tirés des détritus. Aucune structure ne les prend en charge, malgré un foisonnement d’ONG dans le pays. Les rues et routes des grandes villes sont envahies par une nuée de personnes handicapées mendiantes. On y croise des aveugles implorant les automobilistes de leur faire l’aumône, des personnes en chaise roulante au milieu des voies de circulation automobile, tendant la main pour quelques piécettes. Au péril de leur vie. Et aussi quelques sourds-muets faisant des gestes de la main pour attirer la compassion des passants.

La Mauritanie est une République islamique. L’islam est la religion d’Etat, donc de tous les Mauritaniens. Dans ses enseignements, l’Islam commande tolérance, solidarité et fraternité entre tous les êtres humains. Mais sur le plan strictement social, le fossé entre ces enseignements et la pratique est béant. Il n’est jamais question de recommandations d’appuyer les individus vulnérables, en particulier les personnes handicapées, pendant les prêches ou les conférences publiques. Les droits de l’Homme sont les derniers soucis des érudits, la plupart étant des conservateurs endurcis. Ces érudits ne mènent aucune activité dans la promotion des droits humains des personnes handicapées. Et pourtant, certains d’entre eux sont très écoutés. Les fidèles profitent de la grande prière du Vendredi pour glisser l’aumône aux nombreux mendiants qui envahissent les mosquées ce jour-là, dont une majorité de personnes handicapées, plus par superstition car, dans leur esprit, il s’agit de sauver leurs âmes. Passé cela, le respect des enseignements du Coran ne préoccupe pas grand monde…

Mamadou Alassane Thiam, avril 2012.

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